Un panorama de l’ESS en milieu rural
L’ étude TRESSONS réalisée par l'Avise, le RTES et le CNCRESS sur l'ESS dans les territoires ruraux démontre le rôle majeur joué par cette économie. Avec une augmentation de l'emploi ESS de plus de 5% entre 2011 et 2015, l'ESS se montre davantage résiliente que le reste de l'économie, et ce notamment du fait de son déploiement sur plusieurs activités clés : celles des services à la personne, l'insertion socio-professionnelle ou le tourisme social, renforçant l'attractivité des territoires par la valorisation des compétences et du patrimoine local. Par ailleurs, cette tendance pourrait encore se renforcer si l’ESS continue à se saisir des nouveaux enjeux en termes d’agriculture durable, de circuits courts, de maintien à domicile, ou de mobilité.
Accompagner les structures de l’ESS dans les secteurs fortement concurrentiels
Pour autant, le paysage n’est pas idyllique. Sur le terrain de l’accompagnement social, les associations font face à l’émergence d’une nouvelle pauvreté alors même que l’on assiste à un désengagement de la puissance publique avec un retrait marqué de ses services et une baisse des subventions. De plus, le secteur lucratif oppose aujourd’hui une concurrence féroce dans l’aide à domicile, l’offre de modes de garde des jeunes enfants ou encore l’hébergement de personnes âgées.
Dans ce contexte, l’émergence d’entreprises sociales et solidaires en milieu rural est un enjeu important et la fonction d’accompagnement qui permet de mieux se saisir des financements, d'identifier et de valoriser les ressources endogènes à mobiliser est un rouage essentiel au développement et à la pérennisation de ces projets. Un accompagnement nécessairement en phase avec les enjeux locaux, forcément différent d’un territoire à l’autre. “L’avantage d’intervenir en milieu rural, c’est que les acteurs sont moins nombreux, donc plus facilement identifiables”, explique Brice Arnaudeau, chargé d’accompagnement à la Fédération des foyers Ruraux de l’Yonne (FDFR 89). Il y a évidemment plusieurs organisations sur le territoire, mais en phase d’émergence, nous sommes le seul acteur accompagnant de façon professionnelle les projets ESS dans les départements de l'Yonne et de la Nièvre”, continue-t-il.
“La Région Bourgogne Franche-Comté a bien compris que l’ESS et sa capacité d’innovation sociale permettent d’apporter des réponses pertinentes aux enjeux de la ruralité, autour notamment des questions d’alimentation, d’environnement et de circuits courts, poursuit Brice Arnaudeau. C’est pour ça qu’elle finance sur l’ensemble de son territoire l'accompagnement à la création de projets, dans le cadre d'un Service d'Intérêt Economique Général (SIEG) visant à outiller et guider les porteurs de projets dans les différentes phases de la création : de l’étude d’environnement à la mobilisation des ressources, jusqu’à la mise sur le marché du bien et du service. La FDFR 89 est opérateur du SIEG sur les départements de l’Yonne et de la Nièvre”.
Le développement de l’ESS rencontre de nombreux défis en milieu rural
Un vaste périmètre et une vraie diversité d’obstacles à surmonter : “On accompagne des projets associatifs portés par des bénévoles qui ont par ailleurs des emplois salariés. Ils ne sont pas forcément disponibles pendant les horaires de bureau. Il y a également les zones blanches dans lesquelles Internet n’est pas encore arrivé. Et puis, il y a les entrepreneurs qui habitent Château-Chinon, à deux heures de voiture d’Auxerre et de Nevers, où nous tenons nos permanences”, indique Brice.
On pourrait penser que les problématiques de mobilité rencontrées dans la Nièvre sont encore accentuées en Haute-Savoie. Mais l’image du porteur de projet isolé sur sa montagne fait sourire Damien Gaucherand, directeur d’Innovales, Pôle territorial de coopération économique (PTCE) qui œuvre depuis 2013 dans le domaine du développement durable et de l'économie sociale et solidaire, en partie soutenu par la Région Auvergne-Rhône-Alpes. “Avec un des plus fort taux de croissance européen, la vallée de l'Arve regorge de TPE et de PME réalisant 65 % du décolletage en France. Nous sommes à deux pas de Genève et proche de l’Italie qu’on rejoint par le tunnel du Mont-Blanc. Ici c’est un carrefour européen et personne n’est à plus de 30 mn d’un grand centre urbain”, explique-t-il.
ID Cube, l‘incubateur d’Innovales propose aux porteurs de projets un suivi individualisé et collectif sur les grands champs de l’entrepreneuriat : stratégie commerciale, modèle économique, structuration juridique, levée de fonds, gouvernance. “Sur 10 projets incubés, 6 à 7 transforment l’essai au bout de 12 à 18 mois”, indique le directeur. Un taux de réussite de 60% largement supérieur aux programmes de l’économie classique qui s’explique selon lui par les valeurs des entrepreneurs.
Des valeurs personnelles au cœur de la dynamique entrepreneuriale
“Que ce soit dans la rénovation du bâti ou l’accompagnement des personnes en situation de handicap, nos entrepreneurs défendent farouchement les idées de partage, de démocratie et de responsabilité collective incarnées par l’ESS. Certains ont traversé une crise de sens dans leur vie professionnelle, d’autre une rupture importante dans leur vie personnelle. Ils ont transformé une colère en projet entrepreneurial et c’est un supplément d’âme qui renforce la dimension économique de leur projet”, explique Damien.
“Nous avons accompagné Serenimouve qui propose aux personnes âgées et à leurs familles un service d’accompagnement sur mesure vers un nouveau lieu de vie. La société est la première entreprise commerciale de Savoie à obtenir l’agrément ESUS - Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale, indique le directeur d’Innovales. Nous avons aussi accompagné D.A.H.U.T.S, fabricant de mobilier éco-conçu à partir de déchets bois, qui est aujourd’hui en plein développement”, poursuit-il.
Des succès visibles qui positionnent l’incubateur comme une référence en matière d’économie positive sur le territoire. “On sent bien que les entreprises locales en questionnement sur l’impact environnemental et social sont attentives à nos activités. Cela nous permet de développer une offre de conseil diminuant notre dépendance aux financements publics, aléatoires par définition, tout en renforçant notre modèle économique, explique Damien. Mais sur les 70 candidatures reçues chaque année, notre comité d’engagement ne peut en accepter plus d’une dizaine par promotion, déplore le directeur. Nous aurions besoin de plus de ressources pour développer l’accompagnement".
Sensibiliser les plus jeunes à l’entrepreneuriat collectif
La question des ressources est aussi au cœur des projets entrepreneuriaux en Sud Aquitaine. “Les entreprises de l’ESS s’inscrivent dans des dynamiques de long terme et mettent du temps à se développer. Comment rémunérer les porteurs de projets le temps qu’ils acquièrent suffisamment de maturité ?” se demande Maud Carrichon, coordinatrice du Tube à ESS’ai, outil d’accompagnement et de développement entrepreneurial du PTCE Sud Aquitaine, animé par le Comité du Bassin d’Emploi du Seignanx, composé de 23 structures et réseaux de l’ESS.
L’incubateur s’adresse aux porteurs et porteuses de projets qui souhaitent mener des projets collectifs ou aux structures de l’ESS déjà existantes souhaitant développer de nouvelles activités. “Pas d’appel à projets chez nous, on entre au fil de l’eau et nous faisons du sur-mesure. Nous organisons l’immersion dans un tissu de partenaires locaux susceptibles de renforcer les initiatives avant une orientation vers d’autres types d’accompagnement”, explique la coordinatrice.
Comme Damien, Maud témoigne d’une importante dynamique entrepreneuriale sur son territoire avec des projets en lien avec les circuits courts alimentaires ou le recycling. “Des entrepreneurs qui pour la plupart entament une seconde vie professionnelle. Notre enjeu de court-terme est sans doute de mieux sensibiliser les jeunes à l’entrepreneuriat collectif, indique-t-elle. Le monde économique n’a pas toujours bonne presse chez les moins de 25 ans. Nous nous attachons à valoriser les projets émergents afin de créer des exemples et mieux faire connaître les formes alternatives d’entrepreneuriat à celles et ceux qui incarnent l’avenir”, conclut Maud Carrichon.
Sébastien Poulet-Goffard