Impact social, quels enjeux pour la France et pour l’ESS ? Entretien avec Olivia Grégoire
La notion d’impact social ou environnemental devient centrale pour l’ensemble des acteurs économiques. Quels sont les objectifs de ces différents leviers ? Et comment les acteurs de l’économie dite traditionnelle et ceux de l’économie sociale et solidaire peuvent-ils travailler de concert ?
Aujourd’hui en tant que Secrétaire d’État, je poursuis le travail initié à la commission des finances de l’Assemblée nationale avec la loi Pacte, qui est l’emblème de la politique économique de ce quinquennat. Quand je dis « du Pacte à l’impact », ce n’est pas une formule, c’est une réalité. Avec la loi Pacte, nous avons formalisé les moyens de la responsabilisation du capitalisme, avec l’impact, je veux en matérialiser concrètement les résultats.
Tous les dispositifs que vous listez témoignent d’une réalité : les planètes sont en train de s’aligner. Les valeurs de l’économie sociale et solidaire (ESS), au premier rang desquelles l’utilité et l’impact, pollinisent toute l’économie dite traditionnelle. Ces différents acteurs travaillent de concert à travers les nombreuses passerelles que nous sommes en train de rendre très concrètes : la passerelle des valeurs, celle du financement et celle de la mesure.
La loi Pacte concrétise la passerelle des valeurs : raison d’être, statut des entreprises à mission, fonds de pérennité sont de puissants outils pour que l’économie traditionnelle inscrive ses activités dans un cadre écologique et social, qui est celui de l’ESS depuis toujours.
Ensuite, la passerelle du financement : c’est tout l’enjeu des contrats à impact. Le mécanisme du contrat à impact permet à l’Etat d’amplifier les solutions portées par des structures de l’économie sociale et solidaire (associations, entrepreneurs sociaux, fondations, coopératives, mutuelles), en leur donnant la possibilité de s’adresser à de nouveaux publics ou territoires : le projet est financé par un ou des investisseurs privés qui sont remboursés par l’Etat en fonction de la réussite effective du projet, évaluée sur la base d’indicateurs définis en amont par les porteurs de projet, l’Etat et les investisseurs. Avec cette incitation, nous allons convaincre de nouveaux financeurs de venir s’intéresser à l’impact écologique et social.
Nous venons d’annoncer les lauréats du premier contrat à impact portant sur l’économie circulaire, que nous avons lancé avec l’ADEME : les résultats sont bien au-delà de nos attentes, et nous avons dû tripler l’enveloppe de 10 millions initialement prévue ! Nous annoncerons fin avril les résultats portant sur le contrat à impact « Egalité des chances économiques », et venons d’en ouvrir un troisième sur « Innover pour accéder à l’emploi ».
Troisième passerelle, enfin, celle de la mesure qui rejoint d’ailleurs la problématique des contrats à impact : parce que l’ESS a inventé les concepts d’utilité sociale et de solidarité, elle est aussi la première à avoir cherché à matérialiser, comptabiliser, démontrer cet impact qui est évidemment moins tangible que ne le sont des flux financiers. Or, les défis climatiques et sociaux ont prouvé que toutes les entreprises et les Etats devaient se soucier de leur impact, d’où la réflexion actuellement en cours sur les indicateurs et la norme de performance extra-financière, qui dépassent de loin nos frontières nationales et dessinent les contours de l’économie de demain.
Dans ce contexte, quel est, ou doit être, le rôle des pouvoirs publics dans l’évaluation de l’impact de cette variété d’acteurs ?
Il y a vingt ans, au niveau européen, nous avons délégué à une instance indépendante, mais anglo-saxonne, la détermination des normes comptables avec l’International Financial Reporting Standards (IFRS). La santé financière des entreprises est depuis évaluée à l’aune d’une vision américaine du capitalisme, de la dette et des fonds propres. C’est ce qui explique la domination américaine sur les agences de notation.
Depuis quelques mois, l’Europe travaille à la révision de la directive sur la publication d’informations non financières qui impose aujourd’hui aux grandes entreprises de publier des rapports sur leur manière de prendre en compte la protection de l’environnement, le partage de la valeur ou encore le respect des droits humains dans leurs activités.
L’enjeu de cette révision est d’établir un référentiel commun par lequel toutes les entreprises communiqueront des indicateurs identiques en matière environnementale, sociale et de gouvernance. Ces indicateurs établiront ce qu’il est convenu d’appeler leur performance extra-financière qui, combinée à la performance financière classique, constituera leur performance globale.
Le rôle des pouvoirs publics est ici fondamental : c’est le maître horloger dans la définition de la norme. Or, écrire la norme c’est écrire la règle du jeu et donc former les arbitres. Elle doit être écrite bien évidemment en écoutant toutes les parties prenantes et donc les entreprises, car cette régulation déterminera leur avenir. Mais cette régulation déterminera notre avenir à tous, en tant que société, face au défi climatique et social, le cadre doit donc être posé par la puissance publique.
Au sein de l’Union Européenne, quelle est la place et l’ambition de la France sur ce sujet ?
Ce sont des débats que nous menons avec nos partenaires européens dans le cadre de la révision de la directive très importante que je mentionnais sur le reporting extra-financier. La Commission doit présenter sa proposition fin avril et, à partir de là, s’engagera son examen au Parlement européen et au sein du Conseil. Ce qui s’est produit sur la performance financière ne peut pas se reproduire sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, d’autant plus que l’Europe en général et la France en particulier ont bâti en la matière une avance extraordinaire. En effet, la France se distingue par un engagement historique, à travers son arsenal législatif et réglementaire, notamment la loi Pacte, la loi sur le devoir de vigilance, la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, sa tradition de dialogue social et des dirigeants pionniers… mais aussi des investisseurs pionniers. Ainsi, on oublie trop souvent par exemple que 82% des fonds durables sont européens, avec de grands champions français.
Grâce à son centre de ressources national dédié, l’Avise contribue à rendre accessible l’évaluation de l’impact social pour les acteurs de l’ESS. Selon vous, quels avantages ces derniers peuvent-ils tirer d’une démarche d’évaluation ?
Une telle démarche d’évaluation est vertueuse pour prendre de l’avance, et surtout repérer les marges de progression. Le travail pédagogique et l’accompagnement de l’Avise sont clés pour permettre aux acteurs de l’économie sociale et solidaire de comprendre la démarche, d’appréhender les enjeux de l’impact social et de s’entraîner dans une dynamique de progrès. Il faut ensuite considérer que les indicateurs au niveau européen seront posés avec nos partenaires et seront sans doute un peu plus larges ou différents dans l’évaluation.
Par ailleurs, je travaille actuellement à la constitution d’une plateforme numérique en open data qui permettra aux entreprises volontaires de publier leurs données de performance en matière écologique ou sociale. Là aussi, ce sera un premier entraînement et une saine émulation dans la perspective de la mise en place des standards de la performance extra-financière. Les acteurs de l’ESS auront tout intérêt et toute leur place sur cette plate-forme.
Les acteurs de l’ESS, souvent par manque de moyens et de compétences peuvent parfois se sentir démunis. En réponse à cet enjeu, des dispositifs d’accompagnement aux « premiers pas » se développent. Pour encourager ces « premiers pas » comment les pouvoirs publics peuvent-ils aider les acteurs de l’ESS ?
Les structures de l’ESS sont structurellement tournées vers les autres, et dans une moindre mesure vers elles-mêmes. Elles consacrent leur temps et leurs ressources à venir en aide, jusqu’à parfois oublier de s’aider ! Je sais pertinemment que nombre d’entre elles pensent inutiles de chercher à comprendre et s’emparer des dispositifs d’accompagnement.
C’est la raison pour laquelle j’ai souhaité dès mon arrivée à Bercy renforcer le dispositif local d’accompagnement avec une hausse de 2,8 millions d'euros de son financement.
C’est aussi en suivant cette logique et pour éviter le non-recours que j’ai mis en place avec un opérateur bien connu des structures de l’ESS, France Active, un guichet unique pour accéder aux aides de 5000 à 8000 euros pour les structures employeuses de l’ESS de moins de 10 salariés : urgence-ess.fr. Une adresse simple, un site à l’interface facile, un auto-diagnostic à remplir en quelques minutes, et un engagement de réponse dans les 15 jours.
C’est enfin dans ce souci constant de l’accessibilité et de l’accompagnement que nous avons mis en place au sein de Bercy un numéro vert, le 0 806 000 245, une adresse email reliée directement à mon cabinet infocovid.ess@cabinets.finances.gouv.fr, des réunions régulières avec les têtes de réseau mais aussi les relais locaux, et un guide pour les structures ESS sur toutes les mesures de soutien.
En tant qu’animateur du Social Value France, l'Avise travaille à la coordination des experts et praticiens français sur l’évaluation de l’impact social : quels sujets prioritaires identifiez-vous ?
Il me semble que le sujet prioritaire aujourd’hui est celui de la feuille de route européenne. Déterminer les indicateurs de la performance extra-financière est un travail que mènent les acteurs de l’économie sociale et solidaire depuis plusieurs années. Toutes ces initiatives, ESS ou non, doivent être testées, confrontées et rassemblées au sein d’un référentiel commun, capable de nourrir une doctrine française en la matière, qui viendra alimenter la doctrine européenne. Il ne suffit pas d’adopter le premier bon indicateur venu en France, il faut aussi prendre en compte le temps long : s’imprégner des données et des études, prendre la mesure des effets de bord comme des effets d’aubaine, poser les choses pour que la mesure d’impact change vraiment positivement la vie des gens.
Ensuite il y a l’enjeu de l’acceptabilité de ces indicateurs : souvent l’évaluation est comprise comme un contrôle, il faut donc faire comprendre sa valeur ajoutée aux parties prenantes. Et cela passe aussi par la valorisation auprès des acteurs financiers. C’est tout le sens du travail initié pendant la loi Pacte et désormais au niveau du secrétariat d’État avec les mesures de l’impact.