Les Régies de Territoire, pour renforcer les solidarités en milieu rural
Comment fonctionnent les Régies de Territoire et à quels besoins répondent-elles ?
Les Régies, qu’elles soient de quartier ou de territoire, répondent à un même label attribué par le CNLRQ. Peuvent y prétendre les associations de loi 1901 qui correspondent au projet politique de la Charte des Régies, texte fondateur élaboré en 1991 et qui repose notamment sur trois fondements :
- La participation des habitants à l’amélioration de leur cadre de vie
- Un fonctionnement économique viable et pérenne
- Le renforcement du lien social et la construction avec les habitants d'une citoyenneté active sur leurs territoires de vie
L’histoire des Régies explique leur gouvernance mixte s’inscrivant dans une logique de cogestion qui rassemble les acteurs clés de leur territoire : les habitants, qui sont à la présidence et majoritaires au conseil d’administration, les élus locaux et les bailleurs sociaux.
De par leurs partenaires fondateurs, le financement des Régies de Quartier et de Territoire relève en partie des marchés publics. En moyenne, 70% de leur chiffre d’affaire provient des prestations qu’elles réalisent auprès des collectivités et bailleurs pour entretenir les quartiers ou territoires – via l’entretien des espaces verts, la mise en place d’actions pour renforcer le lien social (cafés associatifs, jardins partagés…), la gestion des déchets et des encombrants, etc. – et 30% provient du subventionnement. Ces prestations sont très souvent réalisées par des salariés en insertion mais ce n’est pas toujours le cas.
Parmi les 131 Régies, on compte aujourd’hui 14 Régies de Territoire situées en milieu rural ou zone périurbaine. Elles couvrent des territoires plus larges et agissent sur plusieurs communes contrairement aux Régies de Quartier qui sont centrées sur de plus petites échelles, particulièrement les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV).
Emilie Scoccimarro, cheffe de projet au CNLRQ, explique : « le projet des Régies de Quartier pouvait être transposé en milieu rural et répondre à des problématiques liées aux territoires périphériques. Depuis plus de 10 ans, les Régies de Territoire font ainsi l’expérimentation des Régies en milieu rural. Leur développement est intéressant car elles portent des sujets sur l’innovation sociale et la transition écologique, par exemple sur l’alimentation en milieu rural. Les Régies de Territoire montrent qu’elles peuvent se positionner au cœur de cet écosystème, et être des acteurs porteurs de dynamiques locales dans la production maraichère, mais aussi sur le reste de la chaine de l’alimentation, que ce soit la transformation ou la distribution ».
C’est notamment le cas de la Régie de Territoire des Deux Rives à Billom, dont l’une des activités d’insertion est une exploitation maraîchère. La Régie vend ensuite sa production en circuit-court et une partie est distribuée dans une épicerie solidaire locale. L’objectif est de permettre aux habitants de pouvoir consommer des produits frais et de bonne qualité.
« L’atout des Régies est d’être une porte ouverte, un lieu d’accueil avec une expertise de leur territoire ! Elles offrent un contact de proximité avec les habitants et interrogent leurs besoins », conclue Emilie Scoccimarro.
Témoignage de Renaud Barbe, directeur de la Régie de Territoire de Rodez (12)
PROGRESS est la Régie de Territoire du Grand Rodez dans l’Aveyron, au sud du Massif central et fait partie des 14 Régies de Territoire, avec la particularité d’agir à la fois sur les quartiers de la politique de la ville, mais également sur les communes rurales aux alentours.
Renaud Barbe, directeur de la Régie, explique : « notre territoire d’action, c’est la communauté d’agglomération de Rodez qui compte 8 communes, avec notamment 4 quartiers considérés en décrochage et un quartier politique de la ville dans 2 communes. Il s’agit d’une petite ville dans un ensemble rural, entourée de terrains agricoles et isolée car non rejointe par l’autoroute, ni placé sur un grand axe de communication ».
« On a à la fois des problématiques urbaines qui sont les mêmes que dans les Régies de Quartier - chômage, pauvreté, incivilités, parfois délinquance… - mais dans un petit territoire qui fait face à d’autres difficultés comme l’isolement social, l’isolement des personnes âgées à faibles revenus... ».
Pour Renaud Barbe, l’une des différences avec la plupart des Régies de Quartier dont les territoires d’action se situent à proximité de grands centres urbains, c’est qu’elles bénéficient de l’attractivité et de la dynamique économique – métropolitaine ou urbaine – qui alimentent l’offre d’emploi disponible sur ces territoires. « Ici, on est face à des problématiques de quartier dans des zones rurales, qui n’ont pas les mêmes atouts que les métropoles. Par exemple, il y a très peu de transports en communs, et ils sont seulement à usage domestique et de loisir : vous allez prendre le bus le samedi pour faire vos courses, ou pour aller travailler si vous avez des horaires fixes de bureau. Mais si vous êtes quelqu’un de précaire et que vous devez aller nettoyer des bureaux à 6h du matin, dans certaines zones d’activité, ce n’est pas possible ».
Un autre enjeu identifié par la Régie repose sur l’attractivité : « c'est le fait qu’il y a des métiers en tension [offres d’emplois sans preneurs] mais pas d’actifs pour les occuper. Il y a une baisse du nombre d’actifs et du point de vue de la Régie de Territoire, l’enjeu c’est la mise en relation des zones urbaines, périurbaines et des zones rurales. C’est un patchwork de territoires qui parfois ne sont pas reliés les uns aux autres. On a donc l’ambition de relier les habitants aux emplois agricoles, qui sont aussi une opportunité pour les habitants des quartiers », reprend-t-il.
Comment la Régie s’adapte-t-elle à ces conditions et répond-t-elle aux besoins des habitants ?« La Régie mène ses activités en respectant le triptyque de base entre bailleurs, collectivités et habitants. Les missions sont les mêmes et les problématiques souvent transversales. Elle mène par exemple des actions d’accompagnement à la mobilité envers tous les bénéficiaires du territoire à travers diverses actions pour faciliter l’accès aux aides, l’organisation d’ateliers de pré-code, mettre en place du covoiturage, etc. ».
Sur le sujet agricole et de l’alimentation, la Régie cherche à faire le lien entre besoins et solutions locales : « on a des partenariats avec la filière bio, et on travaille sur un projet de développement d’un lieu de production maraichère sur le territoire de l’agglomération. Il pourrait être un support d’insertion, et un lieu d’expérimentation pour les exploitants agricoles qui voudraient s’installer. Parmi les autres projets emblématiques, on a des jardins partagés, car on a la particularité de ne pas manquer de foncier. On a eu un financement de 3 ans dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, pour un programme qui a permis d’aménager 5 sites – travaux d’aménagement, installation de poulaillers et de composteurs - mais aussi de mener des action d’animation et de sensibilisation au paillage, à l’économie d’eau ou à l’éducation à l’alimentation par exemple ».
Y a t-il des spécificités à développer des projets – en particulier d’ESS - en milieu rural ?« Il y a un manque de formations et d’informations, notamment sur les métiers en tension. Par exemple on n’a pas de formation en mécanique agricole pour les adultes. Il y a moins d’offres, de choix. A l’inverse, le point fort du territoire c’est le dynamisme économique ». A la question de savoir dans quelle mesure l’identité du territoire est un facteur important dans l’émergence de projets locaux, Renaud Barbe répond : « c’est un territoire qui a une forte identité, avec une solidarité organique. Il est rural au niveau du comportement des gens : les décideurs sont abordables, ça fonctionne au réseau, aux relations et c’est un territoire assez sauvegardé qui a été relativement isolé des problématiques sociales pendant un temps. Aujourd’hui, c’est un territoire qui a les moyens des politiques sociales à mener (…). De plus, l’Aveyron est une terre d’émigration, ce qui est un atout. C’est une marque de Pays ».
Quels sont les facteurs-clés de succès des projets développés par la Régie ?« Il faut d’abord définir ce qu’est le succès : l’amélioration du cadre de vie et la satisfaction des habitants. Donc l’un des premiers facteurs-clés c’est la proximité. La particularité d’une Régie de Territoire, c’est d’être sur un périmètre éclaté : ici, la proximité c’est d’être partout à la fois, dans chaque quartier, et cela implique des choix sur des enjeux d’implantation. Il y a aussi des enjeux d’organisation du travail. Par exemple, notre parc de véhicules de services est sans commune mesure avec une Régie de Quartier, et il a fallu prendre des décisions en termes d’investissements ».
Pour améliorer l’émergence et la consolidation des projets sur les territoires ruraux, isolés, il existe un besoin fort des structures locales - telles que les Régies - en termes d’ingénierie de projets. Il s’agit de contrer les difficultés à mobiliser des expertises sur des sujets techniques (ingénierie de subvention, actions de mobilité, etc.) et les problèmes de recrutement dans certains cas.
Pour aller plus loin
>> Rendez-vous sur le site du CNLRQ et consultez la carte des Régies (2019)
>> Téléchargez le guide des Régies de Territoire