L’ESS, laboratoire d’innovation sociale
La R&D sociale
Que ce soit pour améliorer les capacités et la qualité de la production ou créer de nouveaux biens et services, la recherche et développement (la « R&D ») est une fonction essentielle à la pérennité des organisations. Et si, dans de nombreux secteurs, l’innovation est financée par des capitaux risqueurs visant un retour sur investissement important et de court terme, qu’en est-il dans l’économie sociale et solidaire où les acteurs n’ont pas pour habitude de breveter leurs inventions ?
“Pendant longtemps, l’innovation n’a été appréhendée que sur son volet technologique pour des applications industrielles”, explique Sébastien Palluault, fondateur et associé de la SCOP Ellyx, qui accompagne sur les volets innovation et impact social les porteurs de projets répondant à des besoins sociaux et sociétaux. “Aujourd’hui, l’innovation sociale accède à une véritable reconnaissance et les modalités de financement se sont considérablement élargies”, poursuit-il.
“Au niveau national, le statut de Jeune Entreprise Innovante (JEI) ou le fameux Crédit Impôt Recherche (CIR), qui fonctionnent très bien, sont désormais ouverts aux entreprises de l’ESS, poursuit Sébastien Palluault qui ajoute : "mais les associations demeurent aujourd’hui encore exclues de ces dispositifs. Elles n’ont d’autres choix que de se tourner vers les fondations”.
C’est pour permettre à toutes les organisations sans exception d’innover qu’Ellyx les accompagne dans l’ingénierie et la recherche de financement en développant le concept de “R&D sociale”. Celui-ci s’incarne dans le site internet rd-sociale.fr qui centralise informations et ressources, tout en développant une approche spécifique : “La R&D sociale est un processus porté par des acteurs socio-économiques divers (entreprises, collectivité, collectifs citoyens), caractérisé par sa finalité d’innovation sociale et sociétale, s’inscrivant dans une démarche scientifique (partenariat avec les universités pour la contribution de chercheurs) et visant une application effective”, explique Sébastien.
Si les dispositifs existent au niveau national, le local n’est pas en reste et de très nombreuses régions s’affichent comme des partenaires incontournables des porteurs de projets. “Pour la Région Nouvelle-Aquitaine, le soutien à l’innovation sociale est une signature”, affirme Jacques Le Priol, directeur de l’économie sociale et solidaire et de l’innovation sociale à la Région. “Face aux besoins sociaux non satisfaits, nous animons depuis plusieurs années un collectif d’acteurs régionaux pour construire un cadre plus favorable que ceux proposés par l’Europe et la France. L’ensemble est considéré comme essentiel à la construction de la Nouvelle-Aquitaine de demain”, poursuit-il.
S'emparer des besoins sociétaux du territoire
Réunis à la même table par la Région, chercheurs, acteurs consulaires et opérateurs de l’ESS ont travaillé à une caractérisation de l’innovation sociale. “Nous nous sommes dotés d’une définition et avons dégagé des axes prioritaires autour desquels nous soutenons l’expérimentation d’activités socialement innovantes via un appel à manifestation d’intérêt (AMI). Depuis 2014, nous avons soutenu financièrement plus de 150 projets. La démarche et notre collectif a par ailleurs obtenu le label “Territoire French Impact” en mars 2019”", ajoute le directeur.
Parmis les membres du collectif, l'Association Territoires & Innovation Sociale (ATIS) accompagne le développement des entreprises sociales sur le territoire de la Nouvelle Aquitaine. La structure porte un incubateur dédié à la création d’entreprises inscrites dans les valeurs de l’ESS ainsi que la Fabrique à initiatives, un dispositif animé par l'Avise au niveau national visant à favoriser l’émergence de d'innovations sociales avec les acteurs d'un territoire.
“Nous partons du besoin repéré par un acteur local, qu’il soit simple citoyen, collectivité, entreprise ou association, explique Elise Depecker directrice d’ATIS. Nous réunissons ensuite toutes les parties-prenantes susceptibles d’être concernées par le sujet et travaillons à l’élaboration d’une réponse co-construite dans le champ de l’ESS. Si ce n’est pas le cas, nous orientons le portage vers les collectivités pour la création d’une politique publique ou vers le tissu économique, s’il s’agit d’une réponse marchande privée lucrative”.
S’il n’est pas toujours facile de réunir tout le monde autour de l’ingénierie socio-économique des projets - “il faut prendre le temps de la rencontre, réussir à se parler et trouver des modèles économiques permettant à toutes les parties de trouver de l’intérêt dans la démarche”, Elise Depecker estime de son poste d’observation que l’ESS constitue un véritable laboratoire d’innovation sociale : “Oui, il y a un nombre important de citoyens structurés en associations qui cherchent de nouvelles façons de répondre à des besoins locaux existants ou émergents”, affirme-t-elle.
Des situations sociales de plus en plus complexes
L’ESS innove... et pas seulement sur les territoires. Les grands réseaux aussi savent s’organiser pour favoriser l’émergence de nouvelles réponses. C’est le cas de la Croix Rouge avec l’Accélérateur d’innovation sociale 21, qui développe des programmes d’entrepreneuriat et d’intrapreneuriat social, ainsi qu’un espace de co-working à Montrouge, en région parisienne.
Aux origines de cet accélérateur d’un nouveau genre, un triple constat: “Premièrement, les besoins sociaux augmentent et se cumulent. On fait face à des situations sociales de plus en plus complexes”, explique Marie Alméras, directrice adjointe à la stratégie et à l’innovation de l’organisation. “Notre modèle économique évolue avec une contribution publique à nos activités qui n’augmente pas et une tendance baissière des dons qui fragilisent l’association, poursuit-elle. Enfin, si l’arrivée du numérique peut générer de la fracture au sein de la population, il constitue également une formidable opportunité pour créer de l’emploi et agir de façon mieux coordonnée”.
Bref, la Croix-Rouge a compris qu’on ne s’engage plus auprès des plus fragiles comme au 20e siècle. “Le programme intrapreneur est conçu pour les projets portés par des collaborateurs, des bénévoles ou des étudiants en travail social inscrits dans nos écoles. Le programme entrepreneur s’adresse quant à lui à toute personne ou organisation portant un projet innovant. Après sélection, nous donnons accès à notre expertise métier en lien avec la filière médico-sociale, ainsi qu’à nos 1700 points d’ancrage (établissements) sur le territoire national pour expérimenter”, continue Marie.
Pour les territoires comme pour les organisations, il semble qu’au-delà de la question des financements, c’est bien la dimension collective et la capacité des acteurs à co-construire et à se projeter ensemble qui génère l’innovation. “Les enjeux sont trop importants et personne ne peut plus avancer seul. C’est pour cela que nous avons conçu l’accélérateur comme une plateforme ouverte de coopération à impact”, conclut Marie Alméras.
>> Pour en savoir plus sur les stratégies d'innovation, retrouvez le guide S'engager dans une démarche d'innovation, édité par l'Avise en 2019.
Sébastien Poulet-Goffard, journaliste