L'ESS transforme l'économie et les territoires
L’ Unadel est le réseau national qui associe depuis 1992 des élus, des militants associatifs et des professionnels de l’ingénierie territoriale mobilisés autour d’un projet commun : la promotion et la reconnaissance des territoires de projets comme creusets du développement local.
Face aux nouveaux enjeux sociétaux et aux aspirations de vie post-confinement, les "territoires de projets" ont-ils encore du sens ?
Claude Grivel, président de l'Unadel : Plus que jamais. On retrouve dans l’actualité d’aujourd’hui le besoin de redéfinir le territoire comme un territoire d’accueil et d’ouverture à l’autre. Le développement local s'est créé pour freiner l’exode rural et pallier l’amorce de la désindustrialisation. Il fallait construire les bases d’une diversification de l’économie et donner aux jeunes des raisons de rester ou de revenir sur leur territoire.
Avec l'avènement du développement durable, le développement local s'est ouvert aux besoins sociaux et à l'écologie. L'ESS a été précieuse en ce sens : elle a permis de créer de nouveaux modèles en partant du volet social.
Nous avons souhaité ajouter un 4ème volet, celui d’une gouvernance plus participative et plus inclusive pour mieux faire société.
L’ESS tient-elle sa promesse d'être une économie des territoires ?
En me réfèrant à mon expérience professionnelle et d'élu, je me souviens de l'année 1993. L'agence de développement économique, gestionnaire d’une pépinière d’entreprises, recevait habituellement une centaine de porteurs de projet par an. Mais en 1993, il n'y en a eu seulement une dizaine. Ce sont les acteurs de l'ESS, et notamment de l'insertion par l'activité économique, qui ont été les seuls créateurs d’entreprises et d’emplois cette année là sur le territoire intercommunal.
L’ESS incarne cette prise de conscience locale du besoin de reconnaître les hommes et les territoires dans leurs capacités et pas seulement dans leurs difficultés. L’ESS peut transformer un territoire. C’est tangible et concret, à la fois pour les élus, les habitants et ceux qui y travaillent. Par exemple, quand Envie s'est installé en Meurthe-et-Moselle, on expérimentait la récupération et le démontage d'ordinateurs. Envie est partie de cette expérience pour se développer et nous avons maintenant une usine de recyclage sur le territoire. L'ESS est une véritable approche renouvelée de l'économie.
Les dispositifs comme les Contrats de relance et de transition écologique ou le programme Petites villes de demain sont-ils une opportunité pour l'ESS ?
Oui, même si historiquement, la tendance des politiques publiques est au remplacement voire à l'empilement, là où elles gagneraient à s'élaborer en complémentarité les uns des autres.
À l'Unadel, nous avons toujours poussé pour aller vers un contrat unique d’accompagnement des territoires en intégrant une forte dimension interministérielle. Le Contrat de relance et de transition écologique (CRTE) est censé jouer ce rôle-là.
Ce qui est encourageant c'est qu'il est le fruit d’une négociation entre les ministères de la Transition écologique, qui avait lancé son propre dispositif, et le ministère de la Cohésion des territoires. Les intentions sont bonnes. Mais le passage à l'opérationnel est d’autant plus compliqué, que les acteurs de l'ESS, notamment les associations, ne sont pas encore suffisamment consultés et associés par l’État.
Trop souvent, sur les territoires, on valorise l'économie dite "productive" et moins d’autres formes d'économie. Les Chambres de commerce font de même et les Chambres d'agriculture gardent jalousement leurs prérogatives. L’ESS peut faire du lien entre tout ça et accompagner les transitions.
L'approche des besoins en ingéniérie territoriale a-t-elle évolué selon vous ?
On constate que l’État apporte désormais des moyens pour financer cette ingénierie, ce qu’il ne faisait plus depuis longtemps. Mais ce n'est pas généralisé. Par exemple, le programme Petites villes de demain ne cible que certaines collectivités et beaucoup de territoires n'apportent pas de soutien aux porteurs de projet économique.
De même, on fait aujourd'hui la promotion des tiers lieux – ce qui est très bien – mais ce n’est pas parce qu’on a une boîte à chaussure que le pied rentre dedans. En tous les cas, fort heureusement, on est revenu de l’idée qu’il suffisait d’avoir quelques grosses villes à l’ingéniérie adaptée pour que cela puisse bénéficier aux territoires voisins.
Mais il faut reconnaître aussi que dans les collectivités, on ne sait pas toujours exprimer clairement les besoins du territoire. Or il est indispensable d'avoir une vision partagée du diagnostic, des outils et des hommes. Pour construire une émancipation des individus sur le territoire, il faut un culture commune, une appropriation de ce qui fait du commun et être dans le faire ensemble. Une ingénierie d’animation et de facilitation, formée au développement local, peut y contribuer.
L'éducation populaire est-elle suffisamment identifiée, au sein de l'ESS, comme levier du pouvoir d'agir ?
L’Unadel est enracinée dans l’éducation populaire au service de l’émancipation citoyenne, du pouvoir d’agir. L’ESS, qui défend un mode d’entreprendre différent, a une très forte filiation à l'éducation populaire.
Je suis très content qu’on se soit rapproché du Labo de l’ESS ou de réseaux d’élus de l’ESS pour construire des alliances comme dans la Fabrique des transitions. La lecture du monde par les uns a toute les raisons d'alimenter celle des autres. C'est ainsi que l'on peut construire des solutions efficaces.
Une des difficultés – qui révèle aussi nos marges de progression – est le rythme trop rapide de rotation des élus. Je n'ai jamais vu autant de démissions d'élus qu'après les dernières élections municipales. Notre défi est d'améliorer la formation des citoyens pour être en capacité de conduire des mandats d’élus politiques ou associatifs. C'est pourquoi il ne faut pas délaisser le champ de l'éducation populaire.
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