L'innovation sociale, une injonction à la réinvention du social ?
Dès la création de la Fabrique des Territoires Innovants, nous avons voulu être porteur.se.s d’innovation sociale, dans l’idée qu’elle peut être un moyen de transformation de la société comme de soutenabilité de l’économie. Pour nous, l’innovation implique une évolution et une amélioration des usages. Nous avons donc constitué une équipe transdisciplinaire composées de chercheur.se.s, designers et de consultant.se.s qui ont façonné une méthode d’action que nous avons appelée la collaboration inclusive® et chercher à répondre à ces enjeux, notamment pour les territoires.
Les différentes conceptions de l’innovation sociale
Malgré l’intérêt croissant des pouvoirs publics, des organisations de l’Économie Sociale et Solidaire et du monde de la recherche pour la notion d’innovation sociale, il n’en existe pas encore de définition partagée.
Trois types de conceptions de l’innovation sociale sont généralement présentées.
- La première, portée par des gouvernements et des organisations internationales, considère l’innovation sociale comme un outil de modernisation des politiques publiques.
- La deuxième, l’approche par l’entrepreneuriat social, distingue l’école des recettes marchandes (l’entreprise sociale comme solution aux financements des organisations non lucratives) de l’école de l’innovation sociale, qui personnifie l’innovation sociale autour de la figure de l’entrepreneur social.
- Enfin, la troisième, l’approche institutionnaliste, insiste sur le processus de l’innovation sociale. Le processus d’innovation sociale y est « territorialisé », c’est-à-dire qu’il se déploie au sein d’un espace de coopération entre des acteurs locaux dans une logique de proximité (voir article de Lequin), s’exprime au travers d’une gouvernance élargie et se traduit par un modèle économique pluriel, issu d’une coopération d’acteurs diversifiés.
Les enjeux et les défis de l’innovation sociale
En s’appuyant sur ces différents courants, la FTI propose une vision élargie de l’innovation sociale, tout en prenant en compte les nouvelles façons dont les personnes s’organisent et collaborent entre elles, afin de permettre des changements sociaux. Ainsi, nous voyons trois niveaux de compréhension de l’innovation sociale : à l’échelle d’une organisation, à l’échelle d’un territoire et à l’échelle d’un réseau d’acteurs et d’actrices portant une question sociale commune.
Pour la FTI, les territoires sont les premiers écosystèmes d’appui de l’innovation sociale. Les nombreuses ressources (acteurs publics et privés, structures de recherche et établissement d’enseignement supérieur, citoyens, …) sont des moyens mis à disposition de la volonté de changement. Afin d’innover, la FTI accompagne les territoires dans leurs défis en les aidant notamment à identifier leurs leviers d’actions et fédérer leurs parties prenantes et leurs ressources pour maximiser leur capacité d’innovation au service des besoins sociétaux. A l’échelle de l’organisation, les nouveaux modes d’organisation du travail et les nouveaux modèles économiques sont autant de nouvelles façons de produire de l’innovation sociale. L’innovation n’apparaît pas uniquement lorsque de nouveaux.elles acteur.rice.s entrent en scène, mais également lors de la réorganisation d’anciens modes de faire. Pour les réseaux d’acteur.rice.s, le territoire devient alors comme un espace d’action pertinent pour porter cette vision élargie de l’innovation.Comment nous proposons d’accompagner l’innovation sociale
Beaucoup d’acteur.rice.s politiques, économiques et citoyens encouragent la création de projets d’innovation sociale, sans pour autant toujours mettre en place des moyens d’accompagnement à la mise en œuvre d’un process de travail autre. Aujourd’hui, les dispositifs d’accompagnement et de financement de l’innovation sont essentiellement concentrés sur l’innovation technologique, et pourraient évoluer pour s’adapter aux spécificités de l’innovation sociale. Pour cela, la FTI propose plusieurs pistes qui permettraient entre autres d’impulser la création de filières ou de lieux d’innovation sociale.- Des cadres réglementaires facilitant la collaboration sous des formes diversifiées d’acteur.rice.s hétérogènes (associations, entreprises, chercheurs, universités, citoyens, etc.) permettraient d’encourager les projets collectifs hybrides.
- Des accompagnements en termes d’ingénierie de projet sont indispensables au moment de la mise en œuvre des projets (contractualisation, recherche de financements, animation, expérimentation).
- Des budgets pour accompagner stratégiquement les projets d’innovation sociale bénéficiant de subventions ou d’investissements dupliqueraient les effets de ces moyens financiers.
- Des dispositifs de soutien de la recherche – comme le crédit impôts recherche, les thèses CIFRE – pourraient être déclinés dans le cadre de projets d’innovation sociale par leur capacité à mettre en lien, à mettre en place des indicateurs et à mesurer le réel et son évolution.
- Des politiques de soutien et d’accompagnement à la mesure de l’impact social des projets d’innovation sociale sont à structurer.
- Des écosystèmes rassemblant des acteurs d’accompagnement de l’innovation sociale pourraient être labellisés sur le modèle de la French Tech afin d’organiser territorialement le parcours des porteurs de projets.
L’innovation sociale, comment dépasser l’injonction ?
Innover est une injonction impossible dans le cas d’une expérimentation de courte durée : on ne peut mesurer les effets d’une action dans un écosystème mouvant, sans perspective longitudinale, c’est-à-dire sans regarder l’évolution d’un même indice, à différents termes temporels. Si le projet est pensé, conçu et déployé dans une perspective sociale, des ajustements sont nécessaires pour favoriser l’émergence d’impacts sociaux non pressentis au démarrage du projet. Cependant, une prise de recul, une analyse des effets de son action restent nécessaires - non seulement pour donner du sens à l’action des contributeurs, à l’usage des bénéficiaires - mais également pour rendre compte aux financeurs de l’utilité que peut avoir leur contribution, quelle qu’elle soit. L’innovation sociale se mesure a posteriori. Elle n’est pas une réponse à une injonction ou à un besoin. Pourtant, elle est recherchée et nécessaire. C’est pourquoi nous avons développé la méthode de recherche action inclusive : elle vise à donner les moyens aux individus de conceptualiser leurs actions, les conséquences de celles-ci dans un écosystème, et de clarifier « l’ambivalence des acteurs » (Alter, 2010) pour les ajuster de sorte que l’innovation sociale s’ancre et se pérennise dans des pratiques et dans l’économie. C’est pour nous une démarche préalable à la mise en œuvre d’un projet, voire d’une organisation pour qu’ils se structurent, se stabilisent et se pérennisent. C’est ensuite que nous pourrons constater l’innovation sociale. Pour aller plus loin Alter Norbert, L’innovation ordinaire. Presses Universitaires de France, « Quadrige », 2010, 312 pages.Besançon Emmanuelle, Chochoy Nicolas, 2014, L’innovation sociale, enjeux théoriques et pratiques du changement institutionnel
Avise, 2015, Mode d'emploi : L'innovation sociale
Institut Jean-Baptiste Godin, 2013, L’innovation sociale en pratiques solidaires Emergence, approches, caractérisation, définition, évaluation
Jacquelin Anne (Dir.), Biens communs, collaboration & coopération. La revue des Territoires innovants #1, Paris, 2018.
Richez-Battesti Nadine et al., « L'innovation sociale, une notion aux usages pluriels : Quels enjeux et défis pour l'analyse ? », Innovations, 2012/2 n°38, p. 15-36.