#NousLesPremiers : un scénario démocratique pour le « monde d’après »
La tribune du collectif #NousLesPremiers
Monsieur le président de la République,
Dans votre dernière allocution, vous déclariez : “Sachons, dans ce moment, sortir des sentiers battus, des idéologies. Et nous réinventer. Moi le premier.”
Nous les premiers, citoyens, associations, maires, présidents de régions et de départements, élus locaux, syndicats, entreprises, gilets jaunes, acteurs de la transition écologique, sociale et démocratique… sommes prêts à dessiner ensemble un chemin qui tire “toutes les leçons de cette crise”.
Nous souhaitons que ne soient pas refaites les erreurs du passé. Oui, l’urgence de la sauvegarde des emplois nous impose de réagir vite. Nous le comprenons. Mais, puisque les mesures pour sortir de la crise impacteront durablement les choix politiques à opérer, les investissements qu’elles nécessitent ne peuvent se décider sans concertation, discutés en trois jours dans un Parlement vidé de ses membres où trois représentants LREM possèdent à eux seuls la majorité absolue. Nous regrettons notamment votre décision de ne pas poser de conditions environnementales et sociales sérieuses à l’octroi de 20 milliards d’euros à la relance d’industries comme l’aviation et l’automobile, contrairement au Danemark, l’Autriche ou encore la Finlande.
Tout se passe comme si les leçons de la relance consécutive à la crise financière de 2008 n’avaient pas été tirées : un plan de relance décidé sans y associer les territoires, ni les citoyens, qui creuse les inégalités, augmente la pollution et affaiblit de plus en plus les services publics…
Afin d’éviter que le climat, la biodiversité et la justice sociale ne fassent à nouveau les frais des premières actions de sortie de crise, nous vous demandons d’ores et déjà de prendre en compte les recommandations de la Convention Citoyenne pour le Climat. Ses 150 membres tirés au sort préconisent “que les financements mobilisés dans le cadre de la sortie de crise soient socialement acceptables, fléchés vers des solutions vertes et que les investissements se concentrent dans des secteurs d’avenir respectueux du climat”.
Pour sortir de la crise “dans la concorde” et inventer ensemble ce fameux “monde d’après”, il est indispensable de dessiner un scénario démocratique impliquant le plus largement possible les citoyens, les territoires et la société civile organisée, comme vous y invitent d’ailleurs de nombreuses voix depuis le début de la crise, à l’instar du CESE, des organisations du Pacte du pouvoir de vivre, de réseaux d’entrepreneurs, de plusieurs partis politiques, jusqu’au Président de votre conseil scientifique Covid-19.
Ainsi nous vous proposons, à vous, mais également à tous les acteurs agissant à l’échelle des territoires, et à l’ensemble des Français, une méthode démocratique pour élaborer un plan de relance juste et durable, puis un grand plan de transformation de la société, articulés avec ceux des territoires. Celle-ci s’articule en trois étapes :
1- Dès maintenant (au moins pendant la durée du confinement) : permettre à chaque citoyen de participer à construire le “monde d’après” en faisant entendre son point de vue et ses idées à travers des canaux de contribution divers. De nombreuses initiatives ont d’ores et déjà été mises en place à travers différentes plateformes en ligne et contributions collectives (d’ONG, de parlementaires, de syndicats). Nous défendons le principe d’ouverture des données récoltées, centralisées dans un espace dédié (par exemple, le site www.apresmaintenant.org). Par ailleurs, nous préconisons que l’ensemble de ces contributions fasse l’objet d’une synthèse indépendante du gouvernement, afin d’en garantir l’exhaustivité, la sincérité, et de valoriser la parole citoyenne. Cette synthèse pourra ainsi alimenter les délibérations organisées aux deux étapes suivantes. Pour encourager la participation d’une population la plus diverse possible, notamment des personnes en première ligne, des quartiers populaires et des plus vulnérables, nous invitons l’ensemble des associations concernées, les plateformes de consultation, les médias et corps intermédiaires du pays à diffuser et faciliter l’engagement au sein de ces initiatives. Enfin, pour faire le lien entre la contribution en ligne et les dynamiques locales d’engagement, nous proposons à chacun de participer à la démarche proposée par Bruno Latour permettant d’établir des “gestes barrières à tout retour à la normale”.
2- A court-terme (mai-juin) : mettre en place des Fabriques de la Transition au niveau local ainsi qu’un Conseil National de la Transition. Nous avons la conviction qu’il faut partir des territoires, au plus proche des citoyens, pour concevoir des plans de relance juste et durable. Ainsi, nous proposons qu’au sein de tous les territoires, les acteurs de la transition (associations, conseils citoyens, conseils de développement, collectifs citoyens, entreprises, chercheurs, élus locaux, citoyens engagés, etc.) s’inscrivent dans une dynamique collective de “Fabrique de la Transition”. Leurs missions : définir des mesures de relance pertinentes à leur échelle (commune, intercommunalité, métropole…) et faire remonter au Conseil National de la Transition, si possible dès le mois de juin, leurs projets pour un plan de relance juste et durable au niveau national. C’est aux forces vives de chaque territoire que doit revenir l’initiative de lancer sa propre fabrique, de manière autonome, en fonction de ses spécificités, en respectant des lignes rouges méthodologiques claires… et bien entendu dans le strict respect des consignes sanitaires. Pour ce faire, ils s’appuieront sur un référentiel et des outils communs. Le Conseil National de la Transition, dans l’esprit du “Grenelle” proposé par diverses organisations, aura une composition hybride (ONG, syndicats, entreprises, élus, citoyens) et donnera toute sa place à la parole citoyenne pour définir un plan national de relance durable, en respectant le principe de représentation des territoires. Le fonctionnement précis du Conseil National devra être défini avec ses parties prenantes et des experts de la participation citoyenne.
3- A moyen-terme (septembre) : préfigurer une Assemblée Citoyenne du Futur, comme imaginée lors du premier projet de réforme constitutionnelle sous l’impulsion d’organisations de la société civile. En attendant la possibilité d’une réforme constitutionnelle, nous préconisons que cette Assemblée reprenne la méthodologie de la Convention Citoyenne pour le Climat. Sa mission : définir les grands principes d’un plan de transformation du pays, et établir des recommandations pour l’échelon européen, en vue de construire une société plus juste et plus résiliente. Nous proposons qu’elle soit composée uniquement de citoyens tirés au sort en s’appuyant notamment sur l’audition d’élus et de corps intermédiaires (associations, entreprises, syndicats, chercheurs et universitaires). Nous demandons à ce que soit donnée à cette Assemblée Citoyenne du Futur une existence légale (à travers un vote du Parlement dès l’été 2020), afin de garantir sa légitimité et un débouché politique pour ses propositions. Une telle Assemblée citoyenne pourra être déclinée au niveau régional ou départemental par les collectivités volontaires. À terme, nous proposons que cette Assemblée Citoyenne du Futur soit entérinée par une réforme constitutionnelle et qu’elle ait un véritable rôle contraignant dans le processus législatif sur tous les sujets concernant le vivant et le long terme.
Cette démarche démocratique en 3 étapes a été construite par une diversité d’acteurs, dans un large processus d’intelligence collective. Elle naît dans les territoires et s’appuie sur les forces vives du pays. Elle répond aussi à la forte demande de participation citoyenne qui a émergé à l’échelon européen. Il serait souhaitable que la Convention sur l’avenir de l’Europe intègre les réflexions des citoyens européens sur le “monde d’après ».
Monsieur le Président, que vous suiviez ou non nos recommandations, nous commençons dès maintenant à mettre en place une telle démarche de notre côté. Ainsi, une alliance d’acteurs institutionnels, citoyens, économiques, environnementaux et sociaux est d’ores et déjà engagée dans cette dynamique de transition démocratique. Alors que certains territoires préparent des plans de relance et de transformation avec les citoyens, d’autres travaillent à la mise en place d’un Conseil National de la Transition regroupant des personnalités aux compétences diverses reconnues, et à même d’imaginer le “monde d’après” et de mettre en place l’Assemblée Citoyenne du Futur. Enfin, la Commission Nationale du Débat Public s’est, de son côté, déclarée disposée à accompagner l’ensemble du processus que nous proposons.
Dans le sillon de ces pionniers, nous profitons de cette lettre ouverte pour lancer un appel aux autres collectivités, associations, syndicats, entreprises et citoyens qui, comme nous, considèrent que le “monde d’après” ne peut pas se décider sans les territoires et sans les citoyens ; toutes celles et ceux qui considèrent que la société de demain doit être plus transparente, participative et coopérative ; toutes celles et ceux qui sont convaincus que c’est par plus de démocratie que nous réussirons à sortir grandis des crises économiques et sanitaires qui nous ébranlent : rejoignez le mouvement ! Créez ou ravivez vos Fabriques Locales de la Transition. Intégrez ou soutenez le Conseil National de la Transition pour imaginer un “monde d’après” plus juste, plus résilient et plus heureux.
Cette crise est une épreuve difficile. Ayons l’audace d’en faire une opportunité, en faisant collectivement les bons choix !