Quand l’économie circulaire est sociale et solidaire
Cet article est extrait de la revue IMpact Eco n°2 publiée en décembre 2020 par le Syndicat National des Ingénieurs de l’Industrie et des Mines (SNIIM).
Face aux menaces qui pèsent sur l’environnement, il est urgent de nous engager collectivement dans la transition écologique. L’économie circulaire a un rôle clé à jouer dans cette démarche, comme le montre son intégration comme axe fort du pacte vert pour l’Europe de la Commission européenne. Dans ce contexte, la crise économique et sociale qui s’amorce ne se contentera pas de creuser les inégalités avec une ampleur sans précédent ; elle représente également une menace pour la transition écologique, comme le montrent les nombreuses pressions pour réduire les ambitions environnementales au nom de la relance, et notamment pour remettre à plus tard l’application du plan d’action européen sur l’économie circulaire.
Face à cette nécessité de concilier les enjeux économiques, sociaux et environnementaux, l’Economie sociale et solidaire (ESS) à son échelle, apporte des réponses.
C’est en ce sens que le Conseil Supérieur de l’ESS a appelé à ce que l’ESS se positionne au coeur d’un « new deal » de la transition écologique et solidaire. L’ESS, qui cherche à concilier utilité sociale, viabilité économique et gouvernance démocratique, via l’innovation ancrée dans les territoires, partage des valeurs communes avec l’économie circulaire. Par ailleurs les entreprises de l’ESS, actrices de l’économie circulaire depuis ses débuts, sont sources d’innovation et d’inclusion sociale et professionnelle. Aujourd’hui, à l’heure où l’économie circulaire doit affirmer sa place dans la relance, elle peut s’appuyer sur les entreprises de l’ESS pour prouver que dynamisme économique et respect des principes de la transition écologique et solidaire sont compatibles.
L’ESS et l’économie circulaire partagent une ambition commune : répondre autrement aux défis du monde de demain.
En effet, tout comme l’économie circulaire appelle à produire et consommer différemment, en sortant d’un modèle linéaire destructeur fondé sur le triptyque «produire – consommer – jeter », l’ESS appelle à entreprendre autrement, pour générer des emplois durables, renforcer la cohésion sociale et fournir des solutions aux besoins socio-économiques des territoires. Au-delà de cette ambition, l’ESS et l’économie circulaire partagent des moyens d’action, qui facilitent la concrétisation de projets communs. Pour les projets de l’ESS comme pour ceux de l’économie circulaire, qui se fondent sur les besoins et les ressources locaux pour apporter des solutions et créer des emplois non-délocalisables, il est clé de bénéficier d’un ancrage territorial fort. De cet ancrage découle, pour l’ESS comme pour l’économie circulaire, la nécessité d’innover pour répondre aux besoins locaux non couverts et de se placer dans des logiques de coopération, notamment via les Pôles
territoriaux de coopération économique (PTCE), regroupements d’acteurs pour la mise en oeuvre de projets innovants contribuant au développement local durable.
Actrices de l’économie circulaire depuis ses débuts, les entreprises de l’ESS sont aujourd’hui incontournables et porteuses d’innovations dans ce secteur.
De nombreuses entreprises de l’ESS ont joué un rôle précurseur dans les secteurs du réemploi, de la réparation et de la réutilisation. Ainsi c’est en 1984 qu’est créé le premier magasin du réseau Envie, spécialisé dans la récupération et la valorisation de déchets d’équipements électroménagers, et portant également une mission d’insertion professionnelle de publics éloignés de l’emploi.
Aujourd’hui, dans ces secteurs, l’ESS s’affirme comme un acteur incontournable : selon l’Ademe, en 2017, dans les activités de deuxième vie des biens, l’ESS représente quasiment 400 M€ de chiffre d’affaires soit près d’un quart du total du secteur, et plus de 60% du total des emplois. L’ESS s’affirme donc comme un contributeur fort à la fois en matière d’activité économique et de mission sociale. Grâce à leurs capacités d’innovation, les entreprises de l’ESS se développent aujourd’hui dans d’autres champs de l’économie circulaire, comme l’économie collaborative. Elles défrichent également de nouvelles voies : que ce soit en explorant des niches de marché, comme Le Relais Métisse dans le Pas-de-Calais, qui transforme des déchets textiles en matériaux isolants ; ou en apportant leur savoir-faire technique à des projets locaux, comme Tri-Vallées en Savoie, qui a participé à la création d’une unité de méthanisation ; ou encore en coopérant pour se renforcer, comme le PTCE Florange Ecologie industrielle et insertion, qui met en commun la gestion, la logistique et la valorisation des déchets en Moselle.
Enfin, au niveau institutionnel, l’ESS s’implique dans la gouvernance de l’économie circulaire via la participation d’ESS France, Chambre française de l’ESS, au Conseil national de la transition écologique ; ESS France souhaite également avoir un siège au sein de la commission inter-filières REP.
Cette capacité d’innovation, les entreprises de l’ESS dans l’économie circulaire la mettent également au service de la lutte contre les exclusions.
Ainsi les structures de l’insertion par l’activité économique (SIAE), bien représentées parmi les projets évoqués précédemment, apportent des réponses sur l’enjeu de l’emploi.
L’insertion par l’activité économique (IAE) est un mode d’entreprendre qui allie tout particulièrement les valeurs sociales et environnementales. En effet, l’IAE vise l’inclusion professionnelle de personnes sans emploi, rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, via des mises en situation de travail et un accompagnement socio-professionnel ; et les SIAE sont particulièrement actives au sein de l’économie circulaire3. Ces structures contribuent, de front, au dynamisme économique et à l’inclusion sociale : selon le GRAFIE (Groupement régional des acteurs franciliens de l’insertion économique), en Ile-de-France, près de 70 SIAE dans l’économie circulaire réalisent plus de 51 millions de chiffre d’affaires, emploient plus de 1500 ETP en insertion et comptabilisent 71% de sorties vers un emploi ou une formation.
Par ailleurs, les SIAE se positionnent sur toute la chaîne de valeur de l’économie circulaire : éco-conception, comme Api’up, qui travaille sur l’ameublement dans les Landes ; réemploi, comme Rejoué pour les jouets en Ile-de-France ; ou encore structuration de filières de gestion de déchets, comme le réseau bordelais de gestion d’encombrants R3, qui fédère notamment plusieurs SIAE.
Dynamiques à l’échelle individuelle, les SIAE dans l’économie circulaire, bien conscientes de la force du collectif, sont regroupées en réseaux nationaux, comme la Fédération Envie, la branche du réseau Emmaüs consacrée à l’économie solidaire et à l’insertion ou encore le réseau des ressourceries. Elles sont également bien représentées au sein de la Fédération des Entreprises d’Insertion.
On le voit, les initiatives d’inclusion sociale dans l’économie circulaire sont nombreuses, innovantes et structurées. Cependant, face aux défis à relever (pérenniser son modèle économique, se diversifier, valoriser ses actions…), il est fondamental, pour ces projets, de pouvoir bénéficier d’un accompagnement à chaque étape. Pour cela, en plus de l’appui apporté par les réseaux nationaux, des programmes existent : ainsi la création de R3 a été accompagnée par la Fabrique à Initiatives, dispositif dédié à la création d’entreprises sociales en partant des besoins du territoire ; pour son développement, Api’Up a été accompagnée par le Dispositif Local d’Accompagnement (premier dispositif d’accompagnement de l’ESS en France, qui appuie chaque année 6 000 entreprises) ; au stade de changement d’échelle, Rejoué a été accompagnée par le programme P’INS, dédié à la duplication de projets socialement innovants, lancé par l’Avise et la fondation MACIF. L’Avise, agence collective d’ingénierie pour le développement de l’ESS, anime ces différents dispositifs et porte une mission spécifique d’appui à l’accompagnement de projets dans l’IAE.
Face aux défis sociaux et économiques à venir, les entreprises de l’ESS, de par leur ancrage territorial, leurs capacités d’innovation et de coopération, ont beaucoup à apporter pour que la relance soit également écologique et solidaire et s’inscrivent dans les principes de l’économie circulaire. Pour que ces projets se développent, les dispositifs qui les accompagnent doivent être soutenus et renforcer leur coordination.
Jérôme Saddier, Président de l'Avise