CAE Clara : rendre les artistes acteurs des enjeux économiques
Q. - Quelle est l'origine de la CAE Clara ?
Myriam Faivre - Nous avons créé la CAE Clara en 2006. Dans la société coopérative d'intérêt collectif (Scic) de formation de musiciens dans laquelle je travaillais auparavant, j'avais constaté que les artistes accompagnés avaient tous une multi-activité, de nombreuses compétences, mais qu'ils avaient du mal à cumuler différents statuts (la création d'entreprise, l'intermittence, les droits d'auteur, …). Tout cela leur imposait une gestion administrative complexe. On s'est donc posé la question : comment permettre à ces personnes de passer plus de temps à développer leurs activités ? Comment les aider à vivre de leurs talents, à construire une économie sur la base de ces talents pour se libérer de la gestion administrative ?
Quand la CAE Artenréel s’est créée, 18 mois auparavant à Strasbourg, nous les avons rencontrés et avons décidé de créer notre coopérative à Paris. L'objectif d'Artenréel était de permettre aux artistes de financer le temps de création. Notre volonté initiale a été de nous consacrer aux personnes qui avaient une multi-activité pour qu’elles développent toutes leurs activités sous un seul statut mais aussi d'aider les artistes à mieux prendre en considération la réalité économique.
L'idée à défendre, c'est qu'ils pouvaient apprendre à maîtriser leur économie pour décider et gérer eux-mêmes, mais pas seuls. Il est important que les artistes puissent à la fois développer leurs potentiels créatifs et comprendre les enjeux et la rentabilité de leurs créations. Par la multi-activité, ils peuvent organiser des complémentarités entre des activités plus rapidement rentables et des activités de création plus lentes à financer. Les rendre acteurs de ces enjeux-là, c'est aussi les libérer.
Q. - A-t-il été compliqué de proposer une telle approche dans un secteur parfois éloigné de la posture entrepreneuriale ?
M.F. - Il y a 13 ans, c'était un réel défi ! On nous a dit : « L'économie ? L'entrepreneuriat dans la culture ? On ne sait pas de quoi vous parlez ». On s'est souvent fait chahuter, et pas que par des institutions et des syndicats. Aussi par des artistes qui nous ont dit : « Nous ce qu'on veut, c'est uniquement créer, et pour le reste il y a nos agents ».
Dans les années qui ont suivi, la Commission européenne a voté une obligation pour toutes les écoles d'art en Europe de donner des cours professionnalisant sur la réalité économique et la gestion des statuts administratifs. On commençait donc à considérer les artistes comme de vrais acteurs économiques. Dans ce cadre, on nous a demandé d'intervenir. Il y a désormais en France six coopératives d'activité et d'emploi culturelles et on intervient souvent pour parler de la réalité des différents statuts.
Q. - Que propose la CAE à ses adhérents ?
M.F. - Dans la coopérative, on permet à toute personne qui le souhaite de tester son activité pendant 6 mois. L'entrepreneur suit des formations et participe à des sessions d'accompagnement individuelles et collectives. Lorsqu'il commence à générer du chiffre d'affaires, on travaille le prévisionnel avec lui et si l'activité devient régulière, on lui propose de passer au statut d'entrepreneur salarié, avec un contrat en CDI d’Entrepreneur-Salarié-Associé et l'assurance de devenir associé dans les 3 ans.
Le statut d'entrepreneur-salarié-associé a été officiellement créé par la loi sur l'ESS de 2014, après une longue phase d'expérimentation. Ce sont les associés qui prennent les décisions pour la coopérative. Il n'y a pas de dividendes pour les associés, mais une part du profit est reversée à tous les salariés sous forme d'intéressement-participation – tandis que le reste alimente les réserves de l'entreprise.
À la différence d'un entrepreneur classique, l'entrepreneur en CAE règle les mêmes cotisations qu'un salarié et bénéficie donc des droits associés (formation, chômage, retraite…). Il paye également une contribution au projet coopératif, afin de financer les services mutualisés, en particulier l'accompagnement ; cette contribution représente actuellement un peu moins de 12% du chiffre d'affaires hors taxe.
Ce qui change également dans la coopérative, c'est qu'il y a des collaborateurs, des personnes à qui parler. Dans l'entrepreneuriat, un phénomène que nous observons constamment, mis en évidence par des sociologues, est celui de « la dynamique oscillante » : c'est la confrontation entre rêve et réalité qui, à intervalles réguliers, donne envie d'arrêter. Nous intervenons également sur ces doutes et cette motivation individuelle qui peut être stressante quand on la vit seul, par exemple par des conseils sur la gestion du temps passé entre activité et vie personnelle ou par des rencontres. Certaines difficultés sont normales, certains épuisements intellectuels ne signifient pas que l'idée est mauvaise… Il s'agit donc de remotiver les personnes régulièrement.
Dans les secteurs culturels et artistiques, où il y a des collections, des modes et des projets, créer n’intervient pas qu’au début d’un projet entrepreneurial. Le cycle de production est permanent, avec de nouveaux clients/publics et de nouveaux partenaires à reconquérir. C'est pourquoi un accompagnement sur le long terme par des professionnels du métier s'avère d’autant plus nécessaire.
Q. - Quelles activités entrent dans le champ de la CAE ?
M.F. - Toutes les activités artistiques et culturelles, ou presque. Sauf quelques exceptions, toutes les activités peuvent être vendues sous forme de prestations et sont donc facturables, ce qui est la condition pour les faire passer par la CAE. C'est aussi moins de travail pour l'employeur à payer sur facture.
Parfois, certaines subventions à la création sont liées au pourcentage du budget dépensé en cachets d'intermittence, ce qui peut dissuader les producteurs de rémunérer une partie des professionnels dans le cadre de la CAE. Pourtant, on assiste, notamment depuis la crise de 2008 à une raréfaction des financements privés et publics, qui devrait pousser les acteurs à se saisir d'autres modèles.
À titre d’exemple d’adhésion fructueuse, une comédienne-danseuse nous a rejoint il y a 10 ans, en nous disant qu'elle souhaitait vivre de son activité. Aujourd'hui, elle est chorégraphe, accompagnatrice de groupes de rock, formatrice en prise de parole pour des dirigeants d’entreprise. Elle anime des groupes en français et en anglais. Grâce à l'accompagnement de la CAE, elle a mis 18 mois pour vivre de son activité : elle a été formée, a cherché à diversifier ses clients et effectue toujours régulièrement du démarchage dans une logique de sécurisation.
Autre exemple : une chorégraphe de 55 ans après une belle carrière professionnelle a souhaité se réorienter. Elle est entrée dans la CAE pour développer des activités complémentaires en art-thérapie. Elle est aujourd'hui reconnue dans le domaine de l'art-thérapie par la danse auprès de personnes atteintes d'Alzheimer ; son professionnalisme est aussi reconnu que lorsqu'elle était chorégraphe par le passé.
Q. - Quel est le prochain défi pour la CAE Clara ?
M.F. - Nous sommes confrontés à la baisse des financements publics que nous percevons, dont la part dans notre budget a diminué de moitié en quelques années. Cela au moment même où nous atteignons tous nos objectifs d’accompagnement des publics, notamment des publics fragilisés, qui constituent 15% de nos publics. Notre chiffre d'affaires cumulé augmente de 20% en moyenne depuis cinq ans. Notre expertise d'accompagnement des personnes qui viennent du secteur culturel est reconnue.
Cette année, nous allons déployer un nouveau programme que nous préparons depuis 18 mois, le programme Augmenter, qui doit contribuer à asseoir notre nouveau modèle économique. Nous ouvrons dans ce cadre notre accompagnement à tous les entrepreneurs culturels, plus uniquement aux membres de la CAE.
Q. - Comment porter à la connaissance des acteurs culturels les opportunités offertes par l'ESS ?
M.F. - Il y a un enjeu fort de communication. Aujourd'hui, on ne communique pas, ou très peu, sur l'ESS. On parle surtout « d’économies innovantes » ou des « gros », alors qu'il faudrait plutôt parler des petits acteurs de la culture, des labels, des compagnies de théâtre… Ce sont ces acteurs qui font que l'économie fonctionne.
Ce qu'il ne faut pas, c'est reléguer l'ESS et l'économie de la culture à une place marginale, sous prétexte qu'elles génèrent des chiffres d'affaires moindres par rapport à d'autres formes d'entrepreneuriat. Les jeunes sont à la recherche d'une économie du sens, il faut donc continuer à la développer, tout en cherchant à mieux rémunérer tous ceux qui y contribuent. Il faut parler de nous.