Évaluer l’impact social, quels enjeux pour les financeurs ?
Une pratique d’évaluation par les structures d’utilité sociale fortement influencée par la logique d’accès aux ressources
Évaluer l’impact social est une préoccupation croissante, partagée par un grand nombre d’acteurs de l’Economie sociale et solidaire (ESS) comme l'ont rappelé Isabelle Brouté, directrice des marchés Entreprise, économie sociale et personnes protégées à la Caisse d'Épargne et Jérôme Saddier, président de l'Avise lors de l'ouverture de la conférence.
Le concept associé, comme le rappelle Benoit Mounier, chargé de mission à l’Avise, recouvre cependant des significations différentes selon les acteurs. Les pratiques d’évaluation sont plurielles, parce qu’elles répondent à des objectifs et des enjeux variés.
Deux finalités d’évaluation se démarquent, celle qui vise à rendre compte de son impact afin principalement de consolider ou de développer des partenariats financiers et celle qui cherche à améliorer les pratiques, renforcer le projet sociétal de la structure. Dans le premier cas de figure, les approches sont principalement quantitatives, les points d’améliorations sont généralement occultés, l’appropriation est faible. Benoit Mounier attire également l’attention sur le fait que les critères d’évaluation font référence à des valeurs. Il est donc important de se demander qui et comment est déterminé "ce qui compte". C'est ce qui est notamment rappelé dans le mode d'emploi "Evaluer l'impact social" destiné aux financeurs de structures d’utilité sociale que vient de publier l'Avise.
Des enjeux soulevés pour les financeurs
Marianne Faucheux, responsable du service Développement économique et ESS de la Caisse des Dépôts, précise que l’évaluation d’impact social est un élément essentiel, à côté des plus classiques (rentabilité financière et risque) pour prendre une décision d’investissement, notamment dans le cadre du Fonds NovESS.
Marie Leclerc-Bruant, responsable projets et partenariats Marché entreprise et économie sociale à la Caisse d’Epargne, indique que les approches et les attentes ne sont pas les mêmes si l’on agit en tant que mécène ou en tant que banquier. Dans le cadre de sa pratique du mécénat, la Fédération nationale des Caisses d’Epargne voit la co-construction de critères et d’indicateurs comme une opportunité de créer un dialogue entre les différentes parties. Du côté banque, on cherche des gages de pérennité du modèle économique. La gouvernance ou encore le lien avec l’écosystème territorial sont analysés. Le fait que la structure s’inscrive dans une démarche d’évaluation d’impact social envoie un signal positif.
Pierre Schmidtgall, responsable des investissements à Lita.co, indique qu’un des enjeux pour une plateforme d’investissement participatif comme Lita.co est de rendre compte à ses propres investisseurs et également au grand public. Evaluer, en tant que financeur, son propre impact social, peut permettre de faire changer le regard sur les financeurs, notamment quand des pratiques éthiques sont au cœur de leur projet.
François Debiesse, président d’Admical, précise que l’impact social d’un financeur est plus et autre chose que la somme de résultats ou d’impacts des différentes actions financées. Des approches qualitatives sont, selon lui, nécessaires pour mieux l’aborder.
De nombreux points de vigilance abordés
Plusieurs intervenants ont souligné l’importance de tenir compte du contexte et des dynamiques muti-acteurs sur les territoires. Les acteurs de l’ESS agissent sur un territoire, rarement seuls. L’évaluation doit avant tout permettre d’instaurer un dialogue avec les partenaires. Il est nécessaire que le cadre évaluatif soit discuté et puisse être évolutif.
Adrien Baudet, consultant-chercheur ESCP & KPMG, a précisé les différents besoins des structures d’utilité sociale pour mettre en place de telles démarches. Il y a, selon lui, une nécessité de faciliter l’accès à de la compétence. De nouvelles modalités d’accompagnement par les financeurs et également la mise en place de fonds dédiés aux évaluations d’impact social pourraient être des solutions à explorer.
Selon l’utilisation que l’on en fait, il y a un risque à ce que l’évaluation d’impact social génère une compétition entre acteurs. Pour Jérémy Brémaud, consultant-chercheur au sein d’Ellyx, il faut différencier l’évaluation d’un modèle, par exemple les entreprises adaptées dans leur ensemble, et l’évaluation d’une structure ou d’un projet, qui a ses spécificités. Cette dernière, sur-mesure, doit avant tout être un moyen de mieux redéfinir sa gouvernance, son projet stratégique. Il est nécessaire de prévoir un droit à l’erreur, à l’expérimentation.
Julia Pantigny, chargée d’investissement au sein d’Inco, insiste sur le besoin d’adopter une approche multidimensionnelle de la valeur créée afin de mieux tenir compte des spécificités de chaque action.
Sur la base des travaux « L’expérience de l’évaluation d’impact social », François Cathelineau, directeur des études et cofondateur de l’Agence Phare, montre le paradoxe des approches quantitatives et qualitatives. Les approches qualitatives sont reconnues comme permettant une analyse fine et contextualisée pour autant elles ne sont que rarement mobilisées, jugées complexes. Il serait pourtant pertinent qu’elles puissent coexister avec les approches quantitatives, prépondérantes.
Il convient, selon Benoît Mounier de s’intéresser surtout au processus mis en place, qui démontre une volonté de s’améliorer, plus qu’à des résultats. « Cette démarche est-elle utile ? Est-elle pertinente ? Est-elle cohérente au regard des enjeux et des moyens à disposition ? Est-elle participative ? Est-elle rigoureuse ? ».
Muriel Ekovich, responsable de programme à Article 1, souligne que mesurer de manière rigoureuse un impact social nécessite une certaine temporalité qui diffère des contraintes opérationnelles et des attentes des financeurs.
Quelques perspectives
Marielle Del’homme, responsable du Fonds innovation d’AG2R LA MONDIALE, ainsi que Julia Pantigny, ont illustré par leurs témoignages de la possibilité pour les financeurs de s’inscrire dans une démarche d’accompagnement vis-à-vis des projets financés.
Les financeurs doivent faire évoluer leurs modèles socio-économiques afin de permettre un meilleur partage des richesses, selon François Debiesse. Les évaluations d’impact social peuvent y contribuer.
La question de la contractualisation a été abordée. Dans cette perspective, il sera nécessaire de se questionner si l’on cherche, par ce biais, à se mettre d’accord sur des attendus en terme d’impact ou sur le fait de mettre en place une démarche d’évaluation.
Le besoin de pouvoir comparer des projets a été signalé par certains financeurs. Quel équilibre trouver avec la nécessité de tenir compte des spécificités et des enjeux de chaque projet, qui font appel à des démarches sur-mesure ?
Enfin, si les financeurs attachent de plus en plus d’importance à ce type de démarches, il sera fondamental de s’interroger sur l’utilisation qu’ils en font réellement…
En conclusion, Frédéric Tiberghien, président de Finansol, rappelait que l’évaluation d’impact social avait une double origine : les financeurs issus de la venture philanthropy et de l’impact investing. Ce type de démarche était à l’origine dédiée aux entreprises à lucrativité limitée. Il constate qu’aujourd’hui, des associations, des banques, des entreprises s’en emparent également pour en faire autre chose que son objectif initial.
Il semble nécessaire aujourd’hui, de partager une culture commune et de s’assurer que les démarches d’évaluation répondent à la fois aux attentes des financeurs et des structures d’utilité sociale, qu’elles leur soient utiles et bien dimensionnées. Cécile Leclair, directrice générale de l’Avise a annoncé la tenue de prochains chantiers dans cette optique en partenariat avec Finansol et Admical.