Interview

Investir dans l'évaluation d'impact social, interview avec la Fondation MNH

Publié le 14 janvier 2025 - Mise à jour le 04 février 2025
Témoignage de l'accompagnement et du financement de démarches d'évaluation d'impact social menées auprès de structures pratiquant la médiation en santé, avec Laureen Sarfati, chargée de mission à la Fondation MNH.

À propos de la Fondation MNH

Créée en 2019, la Fondation d’entreprise de la Mutuelle Nationale des Hospitaliers (MNH) s’engage sur des enjeux de santé essentiels à travers deux axes principaux :

  1. Soutien à des initiatives de médiation en santé : La fondation soutient des projets qui visent à améliorer l’accès aux soins pour les personnes en situation de vulnérabilité, en facilitant leur parcours de santé et leur relation avec les professionnels du secteur.

  2. Recherche sur la santé des professionnels de santé : Elle mène des travaux pour mieux comprendre la réalité de l’état de santé des soignants, en identifiant les causes profondes et multifactorielles de leurs difficultés de santé et de bien-être au travail.

Depuis 2020, en plus du soutien financier, la fondation accompagne les projets qu’elle soutient dans la mesure et l’évaluation de leur impact social. Nous avons échangé lors de cet entretien sur les bénéfices de cette approche, tant pour les projets que pour la fondation elle-même

Comment en êtes-vous venu à financer des démarches d’évaluation d’impact social ?

Laureen Sarfati - La médiation en santé, suscite un fort intérêt sur le terrain, comme en témoigne le nombre important de candidatures reçues (jusqu'à 260 dossiers pour le dernier appel à projet). En tant que jeune fondation, notre ambition dépasse le simple soutien financier : nous souhaitons démontrer la pertinence des projets soutenus, au-delà des résultats quantitatifs, tout en accompagnant les porteurs dans l’évaluation de leur impact social. Nombre de porteurs de projets peinent à justifier leur impact de manière rigoureuse, freinant ainsi l'accès à d'autres financements. Confrontées à un manque de temps et de ressources humaines, ces structures, souvent fragilisées par des expériences d’évaluation imposées et mal vécues, perçoivent parfois ce processus comme un audit pouvant remettre en question leur soutien financier. Face à cette réalité, notre fondation a choisi d’intégrer une brique supplémentaire à son soutien : l’accompagnement à l’évaluation d’impact social. L’objectif est de lever les réticences en expliquant la démarche, de fédérer les équipes autour des objectifs d’impact, et de générer une fierté collective autour des résultats obtenus.

Soutenir l'évaluation d'impact aide les structures à se remettre en question, à apprendre du terrain et à renforcer les liens entre les parties prenantes. Cela permet aussi de mieux connaître les projets et leurs spécificités, favorisant ainsi une relation de partenariat plus authentique.
Laureen Sarfati
Chargée de mission, Fondation MNH

Comment se sont déroulées les démarches d'évaluation d'impact ?

Laureen Sarfati - Lors des appels à projets, nous accordons une attention particulière aux démarches d’évaluation déjà réalisées ou à la volonté des porteurs de projets d’en initier une. Après sélection, ils bénéficient d’une formation collective pour comprendre les enjeux, les conditions et la faisabilité d’une évaluation. Cette étape permet de préparer le cadrage du processus, en définissant ensemble les objectifs et le timing. Suite à la formation, une partie des projets exprime un réel intérêt pour mener une évaluation de leur impact. L’accompagnement à l’évaluation, qui dure en moyenne 9 mois, est assuré par l'Agence Phare. Durant la démarche, la fondation reste présente uniquement lors des phases clés (mise en place et clôture) pour permettre des relations de confiance entre les porteurs de projets, la fondation et l'agence spécialisée. Ce positionnement vise à éviter que l’évaluation soit perçue comme une injonction ou un reporting, tout en réduisant les biais potentiels liés à la présence du financeur dans le processus.

 

Quels étaient les enseignements principaux des évaluations menées ?

Laureen Sarfati - L'accès au terrain constitue un enjeu majeur dès le début du processus d’évaluation, nécessitant une organisation rigoureuse afin de collecter des données qualitatives fiables. Pour garantir l'objectivité, il est essentiel d'obtenir un retour direct des bénéficiaires, même si cela peut être complexe dans certains domaines, comme la santé. A l'issue de la démarche d'évaluation, des pistes d'amélioration et de retravail émergent, ce qui peut conduire certaines structures à une remise en question. Toutefois, tous les projets n’atteignent pas pleinement les impacts recherchés, et cette réalité peut être difficile à accepter pour les acteurs concernés. De plus, les impacts des projets ne sont pas toujours perçus de manière uniforme, et il est important de se préparer à recevoir des retours qui ne sont pas nécessairement positifs. Cela nécessite pour le mécène de renforcer son accompagnement pour rassurer le porteur de projet, l’aider à retravailler tout ou partie de son action pour obtenir les impacts recherchés. C'est pourquoi la fondation encourage la mise en place d’échanges francs et ouverts avec les porteurs de projets, en tenant compte des contraintes qu’ils rencontrent.

 

Quelles influences ont eu ces accompagnements sur la stratégie de la fondation ?

Laureen Sarfati - Les évaluations réalisées permettent d’identifier des impacts communs et de structurer les enseignements tirés. Sur cette base, un document de travail sur les 6 impacts de la médiation en santé, s’appuyant sur 16 évaluations distinctes, a été publié. Ce document met en évidence des effets globaux significatifs de la médiation en santé, contribuant ainsi à affiner le plaidoyer de la fondation.

 

Ces enseignements nourrissent également la réflexion stratégique, notamment en matière de positionnement. Par exemple, bien que la médiation en santé ait été historiquement mise en place auprès des personnes vivant avec le VIH, cette pratique pourrait être davantage développée pour accompagner d’autres problématiques comme la santé mentale. Il s’agit alors de prouver que cette approche peut s’étendre à d’autres champs médicaux et d’examiner la pertinence de lancer un appel à projets ciblant ces besoins spécifiques. La Fondation pourrait ainsi décider d’orienter son plaidoyer et ses modalités d’action vers ces enjeux prioritaires.

 

Au-delà du travail d’analyse et de stratégie, il est essentiel de valoriser ces résultats auprès des acteurs concernés, notamment les soignants, afin de les convaincre de la pertinence des initiatives. Dans cette optique, la fondation a récemment lancé un prix récompensant les soignants impliqués dans des actions de médiation en santé. Ce type d’initiative ne se limite pas à une reconnaissance symbolique : il s’accompagne d’événements de sensibilisation destinés à mobiliser un plus grand nombre d’acteurs. Par exemple, un événement organisé à l’Hôpital Bichat-Claude Bernard a réuni soignants, partenaires institutionnels et acteurs publics pour promouvoir la médiation en santé. Ce type de démarche vise à renforcer la visibilité de cette pratique, à prouver son efficacité et à orienter les stratégies futures.

 

Quelles bonnes pratiques partageriez-vous aux fondations et financeurs qui s'intéresse à l'évaluation d'impact ?

Laureen Sarfati - Coconstruire la démarche avec les porteurs de projets est essentiel pour établir des relations solides et durables. Cela nécessite un engagement significatif en termes de temps, de ressources humaines et financières. Impliquer les porteurs de projets dans le processus de décision favorise une collaboration basée sur la confiance et l'engagement mutuel. Cependant, il est crucial de prévoir un budget conséquent, notamment pour financer des dispositifs comme l’évaluation d’impact. Dans notre cas, cela a représenté une augmentation importante du budget initial dédié au projet soutenu par la Fondation, presque doublé. Cette approche implique également de faire des choix stratégiques, comme réduire le nombre de projets soutenus afin de privilégier un accompagnement qualitatif. Il faut également être prêt à accompagner les porteurs de projets sur le plan psychologique. Certains peuvent être réticents ou appréhender le processus, ce qui nécessite une écoute attentive et un soutien adapté. Nous avons de plus appris à adapter nos calendriers en fonction des contextes locaux et de rester flexible : un projet en Île-de-France ne se développe pas au même rythme qu’un projet en Guyane.

 

Convaincus par ces expériences, la fondation a déjà mené deux évaluations de ses propres actions pour comprendre son impact, tant sur les projets soutenus que sur les bénéficiaires finaux. Une troisième évaluation d'impact est en cours, visant à mesurer l’effet de la fondation sur un écosystème plus large. Les retours d’évaluation de la fondation entre autres ont mis en lumière un besoin fort de la part des porteurs de projets : davantage de contact avec la fondation et la création d’une communauté des alumni. En réponse, nous avons mis en place un club de la fondation, qui a tenu sa première édition l’année dernière. Bien que nous ayons initialement craint de faire perdre du temps aux porteurs de projets, cette initiative s’est révélée fructueuse. Des collaborations inédites ont vu le jour grâce à ces échanges, qui ont généré par exemple un lien entre l'association "A vos Soins" à Saint-Nazaire et l'association "Narike M'Sada" à Mayott, permettant à "A vos Soins" de se rendre à Mayotte pour comprendre comment la médiation en santé y est déployé, et à "Narike M'Sada" d'intervenir lors du Festival de l'aller vers organisé par l'association nazairiene. Cette idée, issue directement des demandes exprimées lors des évaluations, illustre la richesse des idées qui émergent d’une écoute attentive et d’une coconstruction active.

Thématiques

Évaluation de l'impact social

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