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Interview
Impact social

Retour d'expérience sur les contrats à impact social avec Article 1

Publié le 17 décembre 2024 - Mise à jour le 06 janvier 2025
Témoignage d'une évaluation d'impact social menée dans le cadre d'un contrat à impact social avec Benjamin Varron, délégué régional Grand-Ouest de l'association Article 1.

À propos d'Article 1

Article 1 s’appelle ainsi en référence à l’article 1 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. L'association s’inscrit dans le champ de l’égalité des chances avec l’ambition d’être le compagnon de route des jeunes issus de milieu modeste, entre 16 à 25 ans. Son action touche à peu près 150 000 bénéficiaires par an au sein de onze antennes régionales.

 

L'association intervient sur des questions d’orientation auprès des publics lycéens avec un double objectif qui est d’élever le niveau d’ambition scolaire et de déconstruire les mécanismes d’autocensure à la poursuite d’études. Une fois que les lycéens sont inscrits en études supérieures, l'association les accompagne tout au long de leur parcours universitaire à travers un programme de mentorat. Enfin, elle agit également au niveau de l’insertion professionnelle sous l’angle des soft skills et des compétences transversales.

Dans quel contexte avez-vous décidé de vous lancer dans un contrat à impact social ?

Benjamin Varron - Le premier contrat à impact social a été mis en place à partir du premier appel à manifeste d’intérêt sur les contrats à impact social en France, en 2016. Nous avions compris des attentes de cet appel à manifestation d’intérêt qu’il fallait que le projet accompagné soit innovant, soutenu par des partenaires privés et publics. Nous avions déjà l’habitude de travailler avec des entreprises privées partenaires. Quelques partenariats publics existaient déjà même si la puissance publique ne finançait pas l’activité de l’association sur les questions de mentorat. Le contrat à impact social pouvait donc être un moyen de travailler avec les acteurs publics. Nous avions également compris que la question de l’évaluation de l’impact social, sur laquelle nous étions déjà engagées, était centrale dans le dispositif de contrat à impact social.

 

Ce contrat à impact social portait sur l’accompagnement de jeunes en filière agricole sur deux territoires d’expérimentation (Hauts de France et Occitanie) avec un accompagnement par le Ministère de l’Agriculture. Notre volonté était de mener une innovation en termes de public en orientant nos actions vers des jeunes en voie professionnelle.

 

Le contrat à impact a été construit en deux parties avec :

  • Un accompagnement de jeunes lycéens à travers différents ateliers pour encourager les jeunes à poursuivre en BTS agricole après le lycée,
  • Un accompagnement post bac pour des jeunes en BTS agricole à travers un dispositif de mentorat pour prévenir le décrochage scolaire.
Pour les porteurs de projet, le contrat à impact social est une opportunité intéressante pour mener une expérimentation de terrain intégralement financée, avec une évaluation d’impact social.
Benjamin Varron
Délégué régional Grand-Ouest, Article 1

Comment aviez-vous mis en place le projet ?

Benjamin Varron - Une fois que notre projet a été retenu dans le cadre d’un contrat à impact social, nous avons mis plus de deux ans à structurer le projet. De façon générale, la grande difficulté des contrats à impact social est la longueur du montage : le contrat à impact finance le projet sur la durée de son expérimentation mais la partie de montage en amont n’est pas financée. Beaucoup de structures n’ont pas les ressources humaines et financières pour supporter cette logistique.

 

Pour le premier contrat à impact, nous devions obtenir 1 million d’euros pour cinq ans d’expérimentation. Toutefois, nous étions limités dans le montant prêt à être investi par la puissance publique. Nous avons donc dû convaincre un financeur privé de se mettre du côté de la puissance publique pour obtenir le montant de financement souhaité. La mécanique du contrat à impact est de passer par l’émission d’obligations. Le remboursement de la puissance publique est défini à partir d’indicateurs : si ces indicateurs sont atteints, le paiement est déclenché. Le montage financier est complexe pour les associations qui doivent recevoir le remboursement de la puissance publique et le transmettre ensuite aux financeurs privés du projet, dans des délais préétablis. Si la puissance publique est en retard pour ses paiements, il faut quand même rembourser les financeurs privés : cela peut mettre en grande difficulté financière des structures avec une trésorerie peu conséquente. En outre, pour que l’association puisse faire des émissions d’obligation, il est nécessaire qu’elle soit déclarée en préfecture, qui l’oblige à être fiscalisée. Cette partie administrative est souvent très complexe.

Comment avez-vous construit les indicateurs à prendre en compte dans l’évaluation d’impact ?

Benjamin Varron - Notre projet était organisé autour de deux axes, l’accompagnement des lycéens et l’accompagnement d’un public de jeunes en études supérieures. Nous avions donc deux types d’indicateurs à mesurer pour chacun des deux accompagnements : les moyens mobilisés par l’association et les résultats obtenus par nos actions. 

 

Pour le public lycéen :

  • l’indicateur de moyens était le nombre d’ateliers réalisés par Article 1
  • l’indicateur de résultats était le nombre de jeunes, par filière, suivis par Article 1, qui avaient émis des vœux de poursuite d’étude sur Parcours Sup.
  • Pour cet indicateur, l’objectif était d’atteindre entre +0 et +0,7% par rapport à la moyenne nationale.

Pour le public de jeunes en études supérieures :

  • l’indicateur de moyens était le nombre de jeunes accompagnés par Article 1 dans les dispositifs de mentorat
  • l’indicateur de résultats était le nombre de jeunes à s’inscrire à l’examen final deux ans après le début de son accompagnement par Article 1.
  • Pour cet indicateur, l’objectif était d’atteindre entre +0 et +0,5% par rapport à la moyenne nationale.

À la fin de l’expérimentation, nous avions atteint ces deux objectifs.

 

Pour construire ces indicateurs, nous avons rencontré plusieurs difficultés. La première était de fixer l’objectif à atteindre pour ces indicateurs : la détermination de ces seuils a été le fruit de discussions et de négociations entre la puissance publique qui souhaitait que les indicateurs soient le plus ambitieux possible, les financeurs privés qui voulaient des indicateurs plus bas pour s’assurer de retrouver leur financement, et les équipes de l’association qui voulaient que les indicateurs soient réalistes par rapport à leur connaissance du projet.

 

La seconde difficulté a été d’avoir accès à la donnée publique notamment pour pouvoir comparer les résultats à la moyenne nationale. Avant de nous lancer dans le contrat à impact, nous nous sommes rendu compte que le Ministère de l’Agriculture n’avait pas accès aux données sur l’orientation des jeunes. Grâce à ce contrat à impact, le Ministère de l’Agriculture a eu accès aux données concernant l’enseignement agricole. De façon générale, nous avons constaté que la question de l’accès à la donnée est souvent très compliquée alors qu’elle est centrale dans la mesure des indicateurs.

Quelles ont été les retombées du contrat à impact ?

Benjamin Varron - Ce premier contrat à impact a été lancé officiellement en 2018 avec une expérimentation sur une durée de cinq ans. A l’issue du projet, nous avons conventionné pour trois ans avec le Ministère de l’Agriculture pour pérenniser, essaimer et ajuster le projet. Nous avons identifié que la pérennisation du projet devait passer par les professeurs et les équipes pédagogiques en charge des publics au quotidien. Nous avons donc proposé gratuitement de l’outillage et des formations pour les équipes pédagogiques pour que notre pédagogie soit infusée en plus de nos actions. Ces éléments ont été inscrits dans le conventionnement avec le Ministère à l’issue du contrat à impact. Article 1 a donc pu renforcer le déploiement de notre projet avec un essaimage sur deux autres territoires.

 

De plus, dans le conventionnement avec le Ministère de l’Agriculture, une méthodologie d’évaluation de l’impact social a été inscrite sur la suite du projet. D’un côté, cette inscription a permis d’acculturer le Ministère de l’Agriculture à l’évaluation d’impact. De l’autre côté, l’évaluation d’impact est aujourd’hui internalisée dans l’association.

Quelles sont les bonnes pratiques pour mobiliser les parties prenantes dans la mise en œuvre et le suivi du projet ?

Benjamin Varron - Il est parfois difficile de partager le même langage que l’ensemble des parties prenantes : les attentes et la vision d’un financier ne sont pas les mêmes que celles de la puissance publique par exemple. Cela nécessite des compétences transversales pour la personne en charge du suivi du projet. Il faut réussir à créer du lien entre les parties prenantes et essayer de parler un langage commun.

 

L’une des bonnes pratiques a été pour nous d’animer et d’impliquer le comité de pilotage en proposant par exemple une newsletter afin d’ancrer le projet dans une réalité plus tangible : cela nous permettait de présenter les jeunes que l’on accompagne, les ateliers que l’on a mis en place. Nous avons eu la chance d’avoir une très forte implication du Ministère de l’Agriculture avec beaucoup d’interlocuteurs qui connaissaient le terrain, qui étaient pour certains d’anciens professeurs. Ce soutien nous a permis de faire comprendre notre métier et notre projet à l’ensemble des parties prenantes.

 

Une autre bonne pratique est de garder en tête que le contrat à impact est un contrat de gré à gré : en rassemblant l’ensemble des parties prenantes, on peut modifier le contrat si des contraintes inattendues se présentent. Le projet a été déployé en pleine crise du Covid-19 : nous avons dû revoir le calendrier, car nos actions ont été mises en pause ; les indicateurs ne pouvaient plus être évalués. Nous avons donc dû mobiliser les parties prenantes de façon extraordinaire. La difficulté est de rassembler les parties prenantes qui sont très nombreuses, mais, en étant en bonne entente, il est possible de se mettre d’accord et d’ajuster les modalités du contrat.

Quels conseils donneriez-vous à une structure qui voudrait s’engager dans un contrat à impact social ?

Benjamin Varron - Il est essentiel de bien se faire entourer et d’aller chercher de l’expertise en mécénat de compétences. Le soutien et l’implication des membres du comité de pilotage sont essentiels : il faut que les investisseurs et les financeurs aient envie de s’impliquer dans le projet. Enfin, il faut savoir prendre du recul : pour le porteur de projet, son objectif est de mener des actions auprès du public bénéficiaire. Le rôle du porteur est d’être expert de ses actions, pas de devenir expert de la puissance publique et des financements.

Thématiques

Évaluation de l'impact social

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