Comment l’économie collaborative transforme-t-elle la société ?
Un rapport au travail qui évolue
L’absence de définition précise de l’économie collaborative ne permet pas une analyse fine de l’impact réel de ses nombreuses initiatives sur l’évolution de l’emploi et du salariat en France. Néanmoins, les courants qui composent et influencent cette économie – révolution numérique, développement des plateformes collaboratives et « phénomène d’ubérisation » – sont vecteurs de fortes transformations en matière d’emploi et d’interrogations importantes s’agissant du rapport au travail.
Dans son rapport Un agenda européen pour l’économie collaborative, paru en juin 2016, la Commission européenne expose l’opportunité en termes de politique d’emploi et de politique économique de se saisir des nouvelles formes de travail qui émergent au sein de l’économie collaborative, tout en préconisant un important encadrement juridique de ces formes de travail qui sont encore loin d’offrir les mêmes droits et garanties que le salariat.
« L’économie collaborative offre de nouvelles possibilités d’emploi générant des recettes, en plus de celles générées par les relations de travail linéaires traditionnelles et permet de travailler selon des formules souples. Elle permet à certaines personnes de devenir économiquement actives dans des cas où des formes plus traditionnelles d’emploi ne sont pas adaptées à leur situation ou ne leur sont pas accessibles. »
Un agenda européen pour l’économie collaborative, rapport de la Commission européenne, juin 2016
Le développement des plateformes numériques et applications d’économie collaborative a en effet donné lieu à l’émergence d’une nouvelle forme d’organisation du travail, au sein de laquelle un travailleur indépendant effectue des missions au profit d’une entreprise qui lui fournit un outil numérique et l’accès à une clientèle et lui impose en contrepartie une rémunération à la mission et un certain nombre de règles contraignantes : grille tarifaire, système de notation pénalisant, etc.
De nombreuses critiques ont été portées – souvent sous le terme « d’uberisation de la société » – contre ces conditions de travail qui affranchissent l’entreprise des responsabilités qui lui incombent habituellement dans le cadre du salariat et privent les travailleurs du socle commun de droits sociaux : congés payés, arrêts maladie, etc.
L’économie collaborative offre de nouvelles possibilités d’emploi générant des recettes, en plus de celles générées par les relations de travail linéaires traditionnelles et permet de travailler selon des formules souples. Elle permet à certaines personnes de devenir économiquement actives dans des cas où des formes plus traditionnelles d’emploi ne sont pas adaptées à leur situation ou ne leur sont pas accessibles.
Un impact environnemental difficile à mesurer
En favorisant des pratiques d’économie circulaire ou d’économie de la fonctionnalité (mutualisation ou réutilisation des biens et ressources), l’économie collaborative permet une optimisation de l’usage des ressources et biens existants et incite à une réduction de la consommation et de la production de produits neufs.
L’évaluation de l’impact environnemental de ces nouvelles pratiques, qui semblent très vertueuses de prime abord, est pourtant plus complexe qu’il n’y paraît.
À ce sujet, les chercheurs investis dans le projet PICO (Pionniers du collaboratif) – conduit par l’Iddri Science-Po, ESCP Europe, l’Université Paris-Sud et Paris-Dauphine, Ouishare et ZéroWaste France – relèvent un certain nombre de défis pour développer une économie collaborative respectueuse de l’environnement :
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lutter contre la déresponsabilisation des individus induite par le passage de ces derniers d’un statut de propriétaire à celui d’usager et conduisant à une augmentation des coûts d’entretien des biens et ressources mis à disposition ;
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éviter le remplacement d’offres respectueuses de l’environnement par des offres et solutions moins coûteuses ou plus flexibles, mais dont les impacts environnementaux sont plus prégnants. À titre d’exemple, si le covoiturage permet de réduire le taux d’émission de CO2 de chaque individu, l’impact d’un voyage en voiture reste plus important que celui d’un voyage en train ;
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bien évaluer l’impact du transport individuel nécessaire aux solutions décentralisées promues par l’économie collaborative : quelques kilomètres en voiture pour aller chercher un bien de seconde main peuvent en effet annihiler l’impact positif de cette réutilisation ;
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résister à l’effet rebond et à l’hyperconsommation : l’économie collaborative générant des économies et facilitant la revente ou l’échange, l’usager peut être tenté de consommer plus, notamment en utilisant le fruit de ses économies.
Citation projet PICO
Si l’économie collaborative n’est pas intrinsèquement bénéfique pour l’environnement, elle sera ce qu’en font les acteurs publics et privés. L’économie collaborative constitue un réservoir d’innovation à alimenter par les institutions académiques (écoles de design, de management ou d’ingénierie), les entreprises et les acteurs publics pour en maximiser le potentiel environnemental. Avec une ambition simple : mettre l’économie collaborative au service de l’économie circulaire.
La naissance d’un marché de la donnée
L’essor du numérique puis celui des plateformes numériques, notamment de l’économie collaborative, ont transformé le rapport aux données mais aussi à la collecte et à l’usage de celles-ci. Tandis que l’outil numérique permet la récolte et le traitement de données en masse, le développement des plateformes collaboratives repose largement sur la transmission par l’utilisateur de nombreuses données : de profil, de localisation, de préférence, d’objets mis à disposition ou encore de compétences ou connaissances propres à l’usager, etc.
Ce nouvel accès aux données ainsi que la possibilité de traiter et croiser une multitude d’informations sur les utilisateurs recèle à la fois un très vaste potentiel pour la recherche et pour le développement de services innovants, mais fait également émerger de nombreux défis et interrogations quant à l’usage et à la protection des données.
Le traitement de ces dernières, souvent réalisé à des fins commerciales (revente ou ciblage publicitaire), et leur protection, notamment contre les hackeurs, sont ainsi le sujet d’un travail de fond pour les acteurs du numérique et pour les gouvernements. En 2018, les États membres de l’Union européenne ont adopté, à ce titre, le Règlement général sur la protection des données (RGPD) afin de mieux protéger les usagers du numérique et de responsabiliser les acteurs collecteurs.
En parallèle, des questionnements ont émergé quant à la propriété des données et la valeur créée par les usagers lors de leurs activités numériques. Selon l'article Qu’est-ce que le digital labor ?, d'Antonio A. Casilli, sociologue franco-italien spécialisé sur le sujet du numérique, « les activités numériques quotidiennes des usagers des plateformes sociales, d’objets connectés ou d’applications mobiles » sont en elles-mêmes productrices de valeur et pourraient ainsi correspondre à du « digital labor ».
Cette notion récente, qui ne possède pas encore de traduction française, exprime l’idée que les grands acteurs du numérique, collectant et traitant des données, ne seraient pas eux-mêmes créateurs de valeur économique mais exploiteraient la valeur créée par les usagers des plateformes. Cette idée implique le postulat d’un statut de créateur de valeur, et donc de travailleur, pour tout usager du numérique et fait ainsi émerger la question de la rémunération de cette activité productrice de valeur.
Le développement des plateformes numériques et applications d’économie collaborative a donné lieu à l’émergence d’une nouvelle forme d’organisation du travail. Dans cette organisation, un travailleur indépendant effectue des missions au profit d’une entreprise qui lui fournit un outil numérique et l’accès à une clientèle. En contrepartie, elle lui impose en contrepartie une rémunération à la mission et un certain nombre de règles contraignantes : grille tarifaire, système de notation pénalisant, etc.
De nombreuses critiques ont été portées – souvent sous le terme « d’ubérisation de la société » – contre ces conditions de travail qui affranchissent l’entreprise des responsabilités qui lui incombent habituellement dans le cadre du salariat et privent les travailleurs du socle commun de droits sociaux : congés payés, arrêts maladie, etc.
Des initiatives naissent afin de mettre à profit cette dynamique et les opportunités économiques qui en découlent, mais aussi pour offrir protection sociale et force de négociation aux travailleurs indépendants :
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Wemind, par exemple, propose aux indépendants une solution comprenant mutuelle, comité d’entreprise, garantie logement et accès à une communauté de pairs ;
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la Confédération française démocratique du travail (CFDT) a lancé Union, une « plateforme syndicale de service » qui met à disposition des auto-entrepreneurs et freelances des logiciels, une assurance ou encore une protection juridique, en contrepartie d’1 % de leur chiffre d’affaires ;
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tandis que les nombreuses coopératives d’activité et d’emploi (CAE) proposent un hébergement, un statut de salarié et des services d’accompagnement aux entrepreneurs qui les rejoignent.