Fontaine ô livres : fédérer et soutenir les professionnels de l'édition
Une dynamique collective
Lorsqu'elle est créée, en 1996, par des chefs d'entreprise du quartier de Belleville à Paris, l'association Fontaine Au Roi se fixe pour ambition de soutenir la création d'entreprises, dans le cadre de la politique de la ville.
En 2005, les fondateurs choisissent de repositionner l'association autour d'un objet plus spécifique, alors que le tissu généraliste de l'aide à l'entrepreneuriat est déjà bien structuré.
« Au terme d'un diagnostic effectué sur les 10e et 11e arrondissements parisiens, le livre a été choisi parce qu'on a pu observer une dynamique assez importante dans ce domaine, avec de nombreux éditeurs, libraires, auteurs et créateurs », explique Yann Chapin, directeur de la structure, qui se renomme alors l'association Fontaine Ô Livres. Objectif : fédérer ces acteurs autour d'un projet commun et de faire en sorte qu'ils soient plus forts ensemble.
Des métiers et des statuts divers
« Le réseau regroupe globalement toute structure indépendante du secteur de l'édition ou des métiers du livre », poursuit Yann Chapin.
Actuellement, sur 70 adhérents, 40 sont des maisons d'édition, majoritairement de très petites entreprises. Les autres membres sont des indépendants : artistes-auteurs, illustrateurs, graphistes, éditeurs freelance, professionnels de la mise en page, agents d'auteur, traducteurs, etc.
« Les adhérents aiment cette diversité : ils viennent chercher quelque chose d'assez décloisonné. Au début on avait aussi quelques librairies mais elles s'inscrivent dans une réalité économique bien spécifique et sont déjà très structurées. Elles sont en revanche pour nous des partenaires naturels », relève le directeur du pôle.
Les statuts des adhérents sont divers. Il s'agit surtout de sociétés, mais le réseau compte aussi de 15 à 20 % d'associations et au moins une coopérative. Les Éditions théâtrales sont ainsi portées depuis 2015 par une société coopérative d’intérêt collectif (Scic) qui rassemble fondateurs, salariés, auteurs et partenaires culturels.
Rompre l'isolement par des services mutualisés
Quels que soient leur statut, indépendants et entreprises s'inscrivent dans un secteur qui dégage des marges assez faibles. « Le modèle de l'édition, c'est de développer un catalogue, de passer au moins le cap de la centaine d'ouvrages, puis de tenter de durer, avec l'espoir que quelques succès permettent de passer les caps économiques », explique Yann Chapin. « Dans ce contexte, on les appuie par tout moyen que l'on juge utile. »
Fontaine Ô Livres propose des activités de mise en relation – grâce à un « bistrot de l'édition » par exemple -, des outils mutualisés, des formations et des services d'hébergement. « Toute notre activité est liée à cette dimension réseau : les gens qui viennent chercher un lieu de travail cherchent aussi des rencontres et de potentielles collaborations. »
Dès 2008, le pôle accueille des structures dans son local de 120 m2, sis rue Fontaine Au Roi. En 2013, lauréat d'un appel à projet de la Région Île-de-France, Fontaine Ô Livres réhabilite puis ouvre un deuxième espace de 200m2, avec l'appui de France active. Celui-ci héberge une vingtaine de structures et une quarantaine de personnes supplémentaires en coworking ou en bureaux fermés.
Des formations ciblées et un accompagnement renforcé
Depuis, le pôle propose également une offre de formation, destinée à la fois à répondre aux besoins des adhérents et à valoriser les compétences du réseau. Pour équilibrer son modèle économique dans un contexte de baisse des subventions, l'association s'attache aujourd'hui à développer son catalogue. Dans ce dernier, on trouve des formations pour répondre aux problématiques rencontrées à chaque étape du parcours éditorial – conception, production, chaîne graphique, commercialisation et communication -, mais aussi des modules juridiques.
Enfin, Fontaine Ô Livres développe une activité de conseil et bénéficie à ce titre de l'appui du ministère de la Culture dans le cadre de l’édition 2018 de l’appel à projets Soutien aux activités professionnalisantes. Ce programme vise à accompagner les porteurs de projets et entreprises en développement, dans le secteur de « l’édition au sens large, papier ou numérique, et ses déclinaisons dans d’autres médias ou industries culturelles ». Les participants se voient proposer un diagnostic de projet, un accompagnement sur mesure et une participation au club Entreprendre dans l'édition.
Maintenir le lien au quartier, structurer la filière
Yann Chapin se dit étonné de la visibilité de Fontaine Ô Livres dans le monde de l'économie sociale et solidaire (ESS). Celle-ci est directement liée à l'appellation Pôle territorial de coopération économique (PTCE) obtenue par la structure en 2011, dans le cadre de la labellisation de pôles témoins, avant les appels à projets gouvernementaux de 2013 et 2015. « C'était un concept intéressant, on s'était dit qu'on faisait déjà du PTCE sans le savoir », se souvient-il.
Avec ses 350m2 et ses multiples activités et partenariats, Fontaine Ô Livres est ancré dans son quartier. « On reste fidèle au projet initial, à travers des opérations ponctuelles de don de livres à des associations liées à la lecture publique et à l'alphabétisation », explique Yann Chapin. L'association anime également des cycles de découverte du livre numérique en partenariat avec une école de Belleville et un centre social.
Au-delà de ce périmètre local, le pôle contribue à structurer la filière livre – outre la professionnalisation de ses acteurs -, via notamment un catalogue en ligne des 2 500 parutions de ses adhérents. Pour offrir davantage de visibilité à ses éditeurs et encourager des collaborations, Fontaine Ô Livres organise aussi des rencontres entre des éditeurs et des libraires, des bibliothécaires et des journalistes.
Cap sur la « bibliodiversité »
« Les profils des membres du PTCE sont très divers, mais les adhérents se ressemblent dans le fait qu'ils ont opté pour des métiers passion, ce sont de vrais choix de vie », observe Yann Chapin.
Pour lui, la question de l'appartenance à l'ESS et à sa communauté de valeur se pose peu en termes de statuts juridiques. « Une SARL peut très bien être davantage dans l'ESS qu'une association par ce qu'elle porte. Dans un contexte d'atomisation du marché de travail et de précarisation, on soutient les indépendants, on répond à des problématiques dont personne ne s'occupe – la solitude, le manque d'organisation », explique-t-il. À ses yeux, c'est surtout là que se situe l'impact social de Fontaine Ô Livres.
« Alors que la concentration du secteur, déjà très forte, s'accentue, ces franges de l'édition très créatives prennent des risques, font un travail de défrichage et les "gros" ont besoin de cette vitalité », défend le directeur de Fontaine Ô Livres. « Notre action participe à aider ces structures à se développer dans de meilleures conditions et contribue donc à alimenter la "bibliodiversité" ».
Comme la formule « un réseau, un lieu et des services associés » fonctionne bien, il songe à différentes possibilités de développement. La réplication du modèle sur d'autres territoires est une piste, si tant est que l’on s’appuie sur l’écosystème existant.