Quels défis pour rendre l’économie collaborative plus vertueuse ?
Créer un cadre législatif adapté et protecteur
En 2016, le Haut Conseil pour le financement de la protection sociale a abordé dans un rapport la question de l’encadrement législatif de l’économie collaborative sous un angle triple :
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la sécurisation juridique de ces activités sources d’emplois (notamment la protection des données personnelles) ;
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la protection sociale des travailleurs ;
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le manque à gagner fiscal pour l’État.
Des ébauches de réglementation ont été proposées en ce sens par France Stratégie et, depuis juillet 2017, l’Assemblée nationale s’est dotée d’un groupe d’étude intitulé « économie participative et économie collaborative » afin de mener une étude approfondie pour un meilleur encadrement légal de ces nouvelles pratiques.
En matière de sécurisation juridique, outre la protection des données personnelles, l’objectif est d’une part d’adapter les cadres et contraintes légales des secteurs d’activité préexistants aux nouvelles pratiques collaboratives de mobilité, de tourisme, etc. et, d’autre part, d’imaginer les moyens de suivre la bonne application du cadre légal, dans un contexte d’éclatement de l’activité économique au sein de communautés larges d’usagers.
En matière de protection sociale des salariés, si les travaux du groupe d’étude n’ont pas encore tout à fait abouti, des modes d’organisation du travail nés au sein de l’économie sociale et solidaire répondent déjà à un certain nombre de besoins de ces nouveaux travailleurs. À l’image des Coopératives d’activité et d’emploi (CAE) qui offrent aux travailleurs indépendants un cadre collectif et coopératif à travers un hébergement, un statut d’entrepreneur-salarié en CDI et un accompagnement sur-mesure (conseils, mise en réseau, analyse des résultats, etc.).
Enfin, concernant la fiscalité, l’enjeu est aujourd’hui d’élaborer un cadre fiscal adapté aux structures de l’économie collaborative afin de s’assurer que les plateformes, ainsi que leurs usagers, contribuent aux charges publiques à la hauteur des bénéfices et revenus tirés de ces activités. Il est nécessaire, néanmoins, de bien moduler l’imposition selon que l’activité de l’usager est marginale ou qu’elle constitue son revenu d’activité principal. À titre d’exemple, un individu qui achèterait un véhicule afin de faire du covoiturage son activité rémunératrice ne peut être soumis au même traitement fiscal qu’un individu utilisant ponctuellement le service afin de réduire ses frais ou son impact écologique.
La Loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude renforce déjà, en ce sens, les obligations des plateformes numériques qui doivent, depuis le 1er janvier 2019, informer leurs membres et utilisateurs quant à leurs obligations fiscales et transmettre à l’administration fiscale les données nécessaires au bon fonctionnement de celle-ci.
Valoriser et accompagner les initiatives d’utilité sociale
Dans certains secteurs investis par les acteurs de l’économie collaborative, le coût d’entrée pour un nouvel acteur – c’est-à-dire les coûts liés au lancement du projet et notamment, ici, à la constitution d’une communauté d’utilisateurs – sont extrêmement importants, constituant parfois des situations de monopole ou d’oligopole et favorisant des acteurs ayant les capacités d’investissement nécessaires.
Il apparaît donc important de valoriser auprès des usagers les plateformes alternatives proposant des modèles durables, participatifs, redistributifs et respectueux de la législation en matière de gestion des données personnelles, de fiscalité ou de protection sociale des travailleurs.
À ce titre, une importante réflexion et un engagement des grands acteurs publics et privés de l’économie collaborative et de l’économie sociale et solidaire seront nécessaires, afin de développer notamment des actions de sensibilisation des utilisateurs et de permettre une meilleure valorisation des nouveaux entrants ayant des pratiques vertueuses. En parallèle, l’écosystème de l’économie collaborative sociale et solidaire étant encore très peu structuré, à l’image de l’économie collaborative dans son ensemble, l’investissement des acteurs publics et privés, et notamment des acteurs de l’ESS, dans la création d’un environnement favorable à l’échange de pratiques, au plaidoyer pour une économie d’utilité sociale, à l’accompagnement et à la valorisation des initiatives locales, se révèlerait particulièrement pertinent.
Concevoir des modalités de financement adaptées
La réussite particulièrement visible de certaines initiatives de l’économie collaborative se fonde sur l’investissement important de quelques partenaires ayant misé sur le potentiel économique de ces projets. En effet, du fait de coûts d’entrée souvent importants et du temps long nécessaire à l’émergence des projets d’utilité sociale, il est essentiel que des acteurs s’engagent pour financer les projets de l’économie collaborative sociale et solidaire, producteurs de fortes externalités positives pour le territoire et les individus.
Certains acteurs structurants de l’ESS, mutuelles et fondations notamment, se saisissent de cet enjeu de développement d’une économie collaborative d’utilité sociale et deviennent parties prenantes de son développement, en finançant et en valorisant les initiatives de l’économie collaborative sociale et solidaire.
La MAIF s’est ainsi très tôt positionnée comme structure pionnière du financement de l’économie collaborative sociale et solidaire en France et, plus récemment, la fondation La France s’engage a soutenu le développement d’initiatives collaboratives telles que le projet de dictionnaire collaboratif bilingue Français-langue des signes, Elix, porté par l’association Signes de sens.
En parallèle, les collectivités locales peuvent aussi s’engager afin de favoriser le développement de plateformes territoriales solidaires, plus adaptées aux besoins et enjeux locaux que les grandes plateformes nationales, en sensibilisant leurs administrés, en accompagnant et en finançant les projets d’utilité sociale ou encore en prenant des parts sociales au sein des projets collaboratifs montés sous forme de sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) : depuis la Loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent détenir jusqu’à 50 % du capital d’une SCIC.