Foncier et immobilier dans l'ESS : de quoi parle-t-on ?
Les enjeux du foncier et de l'immobilier dans l'ESS
Généralement employés de façon interchangeable, les termes foncier et immobilier revêtent des dimensions distinctes, bien qu’étroitement liées : le foncier désigne ce qui a trait au terrain, qu’il soit à visée immobilière ou agricole, là où l’immobilier réfère au bâti en tant que tel.
Cette précision annonce le caractère distinctif des problématiques évoquées : les mondes de l’immobilier et du foncier ont un vocabulaire, des spécificités et un fonctionnement qui requièrent la mobilisation d’expertises diverses. Ces spécificités induisent des difficultés à se repérer pour les porteurs de projet ESS qui ne seraient pas experts du sujet. A cela s’ajoutent d’autres facteurs complexifiant la recherche de locaux, comme un marché immobilier en tension dans certains territoires ou parfois un manque de sensibilisation de propriétaires immobiliers publics ou privés sur les modèles socio-économiques. Dans l’ESS, la rentabilité économique est à mettre en perspective avec l’utilité sociale des projets et l’hybridation des ressources est souvent caractéristique (revenus d’activités, subventions…).
Des problématiques variées
La recherche de locaux d'activité
La première problématique remontée est le besoin d’accéder à des locaux d’activité. Les enjeux diffèrent en fonction du stade de développement de la structure, de son implantation et de son activité. Un constat reste partagé par les accompagnateurs rencontrés : une part importante du patrimoine immobilier et foncier est détenue par des acteurs ne connaissant pas toujours les modèles socio-économiques de l’ESS, ce qui ne facilite pas l’accès à des locaux en dépit des possibilités associées en termes d’innovation, d’impact social ou de dynamisation du territoire.
Lorsque le parcours d’incubation initialement prévu pour un an prend plus de temps, c'est à chaque fois le foncier qui bloque et rallonge la durée totale de l’accompagnement
L’observation de Ludovic Thomas souligne une difficulté d’entrée de jeu pour les nouvelles structures, qui peut s’expliquer notamment par une rareté des locaux disponibles (à l’achat ou en location) ou par un manque d'acculturation globale à l'ESS et des garanties de solvabilité possibles. Dans le cas où le lieu est central pour le projet, Céline Rochelle (DLA 77 – réseau DLA) constate que « cela peut mettre à mal [ce dernier] en empêchant de projeter les activités de façon concrète, notamment dans le cas des tiers-lieux ». Cela renforce la pertinence des espaces-tests adaptables au développement du projet, tel que le rappelle Patrice Hénaff (TAg 22 - réseau TAgBZH et Rich’ESS), avec l’exemple des pépinières hébergeant des structures de l’ESS.
Même en ayant eu accès à un premier local au démarrage, les structures d’utilité sociale rencontrent par la suite d’autres problématiques immobilières.
C’est ce qu’observent les accompagnateurs du DLA, dans plusieurs situations :
- déménagement pour faire évoluer l’activité ;
- agrandissement pour développer l’activité ;
- rénovation majeure requise pour le local ;
- choix d’une nouvelle implantation géographique.
Des difficultés rencontrées à plusieurs reprises par Evelise Rageot (DLA 71) et Noé Nouchet (DLA 77), dans le secteur culturel et dans le champ de l’insertion par l’activité économique (IAE). Les problématiques immobilières varient aussi en fonction des secteurs d’activité. Dans le cas de compagnies artistiques, le besoin d’avoir un accès permanent à des locaux de répétition et de représentation peut mener à un changement de lieu. Dans le cas de l’IAE, la question de l’espace disponible pour stocker du matériel ou des machines a été remontée comme point de départ de plusieurs projets de déménagement. Dans ces différents cas de figure, l’enjeu était alors multiple : identifier un nouveau local (ou l’agrandir), trouver des financements lorsque des travaux étaient requis et poser le cadre juridique de l’occupation de ces lieux.
La structuration des aspects juridiques
La réponse aux différents aspects juridiques entourant l’occupation d’un lieu (que la structure en soit propriétaire ou non) est le second besoin majeur observé parmi les porteurs de projets sur les sujets immobiliers.
L’installation dans des locaux pour une activité professionnelle nécessite un cadrage juridique et technique précis. Cette action doit intégrer les spécificités des modèles socio-économiques de l’ESS.
Les questions à poser sont les suivantes :
- Quelle est l'importance de l'immobilier dans le modèle de la structure ?
- Quel type de bail (commercial, civil, professionnel...) doit être rédigé ?
- Quel sera l’usage final des lieux et les qualifications associées (accueil de public…) ?
- S’agit-il d’une mise à disposition de locaux à titre gracieux ou onéreux ?
- Quelle entité endosse la responsabilité de la location ?
La réponse à ces questions doit tenir compte des caractéristiques des lieux disponibles et des besoins évolutifs de la structure. Evelise Rageot évoque l’exemple d’une clarification juridique à mener alors que l’association était déjà dans les locaux, notamment pour sécuriser d’éventuels projets de développement de la structure occupante. Ceci faisait suite à une mise à disposition initiale des locaux à titre gracieux par le propriétaire, également salarié de l’association concernée.
Lorsque la situation financière de la structure le permet, l’accès à la propriété des locaux utilisés est un autre choix possible.
D’autres réflexions émergent alors, suivant les questions suivantes :
- Est-il préférable de créer une structure juridique distincte pour porter la propriété ?
- Quel est le type de propriété (commune, copropriété…) ?
- L’achat du lieu ou du terrain est-il adapté au projet de développement de la structure ?
- Est-ce un premier achat ou un agrandissement de locaux existants ?
- Quelles dispositions sont prévues en cas de dissolution de l’entité propriétaire ou d’arrêt de l’activité ?
Une situation régulièrement rencontrée par les accompagnateurs ESS est le changement de statut juridique de la structure pour s’aligner sur les exigences liées à un achat (par exemple, création d’une SCIC et d’une SCI), comme le mentionne Céline Rochelle.
Les travaux potentiels
Que les structures en soient propriétaires ou non, des rénovations partielles ou majeures des locaux peuvent être requises. Les travaux ne sont pas toujours financés ou pilotés par le propriétaire, ce qui implique des investissements à prévoir et une connaissance des aspects techniques associés. Un point essentiel revient : le financement des travaux. Les accompagnateurs ESS évoquent notamment deux distinctions.
- La réalisation de travaux de réhabilitation dans un lieu acheté par la structure : Evelise Rageot évoque le cas d’une structure culturelle ayant une opportunité d’achat d’un local à prix avantageux mais nécessitant des travaux importants. L’une des problématiques rencontrées était notamment l’accès à des subventions publiques, car la société civile immobilière (SCI) constituée pour l’achat du local ne pouvait y prétendre en raison de la forme juridique choisie (propriété privée).
- La réalisation de travaux de rénovation dans un lieu dont la structure est locataire : Ludovic Thomas a rencontré cette situation pour l’installation d’un café coopératif. L’intégralité des travaux était laissée à la charge des futurs locataires, alors que l’augmentation de la valeur du bien immobilier revenait au propriétaire. La solution trouvée dans ce cas a été d’intégrer au bail une clause de partage de la plus-value en cas de revente du bâtiment à la suite des travaux de rénovation, en stipulant la valeur initiale du bien.
La revue des problématiques immobilières et foncières majeures que rencontrent les porteurs de projets donne une indication sur l’importance du sujet pour le développement d’entreprises de l’ESS. Le recours aux communautés d’accompagnateurs ESS est une piste pour explorer les solutions à mobiliser.